Charte des voyageurs aériens: jusqu’à un an et demi pour le traitement des plaintes

OTTAWA — Au rythme où l’Office des transports du Canada (OTC) traite les plaintes reçues en vertu de la Charte des voyageurs aériens, des passagers qui se sentent lésés devraient s’armer de patience et prévoir qu’il puisse s’écouler «jusqu’à un an et demi» avant de voir la lumière au bout du tunnel.

Le nombre de plaintes a «quadruplé» depuis l’entrée en vigueur de la première mouture du Règlement sur la protection des passagers aériens en 2019, ont expliqué lundi des dirigeants de l’organisme de réglementation qui est également un tribunal administratif, lors d’une comparution devant le comité des transports, à Ottawa.

«En 2021-2022, nous avons traité 15 000 plaintes, soit plus du triple du nombre de plaintes que l’on traitait annuellement avant le règlement et la pandémie», a d’abord noté Michelle Greenshields, la responsable de la direction générale du règlement des différends de l’OTC, dans ses remarques préliminaires.

Interrogée par le porte-parole bloquiste en matière de Transports, Xavier Barsalou-Duval, qui voulait connaître le nombre de plaintes non traitées, Mme Greenshields a indiqué qu’il s’élève à 30 000, dont 80 % ont été reçues depuis le 1er avril 2022. Les plaintes sont traitées «avec les ressources que nous avons», a-t-elle ajouté.

Le nombre de plaintes qui était redescendu à approximativement 1500 par mois en avril, mai et juin a réaugmenté avec les importantes perturbations de l’été, grimpant à 3000 en juillet et 5700 en août.

Quelle est la norme de service de l’OTC et quand sera-t-elle atteinte, a demandé le vice-président conservateur du comité, Mark Strahl, après avoir précisé que les compagnies aériennes disposent de 30 jours pour répondre aux réclamations?

Le plan pour atteindre la norme de service passe par un «examen complet» du processus de plainte, lui a-t-on répondu. Les procédures sont révisées et optimisées, notamment en regroupant les cas qui touchent le même vol.

Quant à cette fameuse norme, après l’avoir demandé à trois reprises, les responsables de l’OTC ont dit qu’elle existe et ne pas l’avoir à l’esprit, mais qu’elle est mentionnée dans le rapport annuel de l’organisme. Or, elle ne s’y trouve pas, a constaté La Presse Canadienne.

L’explosion des plaintes est due au fait que les compagnies aériennes sont en train de s’ajuster en fonction de la jurisprudence, a indiqué Tom Oommen, son collègue responsable de la direction générale de l’analyse et de la liaison, en entrevue après leur témoignage.

Par exemple, Air Canada et WestJet en appellent devant les tribunaux de décisions majeures rendues dans les derniers mois où l’OTC a tranché que les pénuries de personnel ne sont pas des problèmes indépendants de la volonté de la compagnie aérienne, les forçant ainsi à dédommager les passagers.

Selon la Charte canadienne des droits des passagers aériens, une compagnie aérienne doit verser des indemnités pouvant atteindre 1000 $ «en cas de retards et d’annulations dans des situations attribuables au transporteur, mais qui ne sont pas nécessaires par souci de sécurité» et si le passager en été informé 14 jours ou moins avant l’heure de départ. Mais les compagnies aériennes n’ont pas à verser un sou si le vol est annulé pour des raisons de sécurité.

Il y a cependant un autre facteur qui explique l’arriéré. «Le gouvernement nous a donné 11,5 millions $ temporairement jusqu’au 31 mars 2023 pour pouvoir traiter un certain nombre de plaintes additionnelles, a déclaré M. Oommen. Donc si on a plus de ressources, on va traiter plus de plaintes. Si on a moins de ressources, on va traiter moins de plaintes.»

À ce sujet, Annie Koutrakis, la secrétaire parlementaire du ministre des Transports, qui trouve que les délais ne sont «pas acceptables», a refusé de dire si Ottawa devrait octroyer des fonds supplémentaires à l’OTC. «Il faut parler avec la ministre des Finances», a-t-elle résumé en entrevue après la réunion du comité.

Pratique, la sécurité?

D’autres libéraux sur le comité ont tenté de savoir comment le consommateur peut vérifier les prétentions des compagnies aériennes quant aux retards et annulations.

Le porte-parole de WestJet Andrew Gibbons, qui témoignait également, a répondu que l’OTC a mené un audit au sujet de centaines de vols et «pas un seul» n’a été incorrectement classifié «délibérément».

À ses côtés, le président et chef de la direction du Conseil national des lignes aériennes du Canada, Jeff Morrison, a affirmé que «la sécurité est non négociable» et qu’il est faux de prétendre qu’elle «sert d’excuse» pour éviter d’indemniser les passagers. «Ce n’est pas une excuse», a-t-il répété au comité.

Pour M. Barsalou-Duval du Bloc québécois, le consommateur est présentement «le dindon de la farce» et l’OTC manque de «proactivité» pour remettre les compagnies aériennes sur le droit chemin, elles qu’il accuse de mettre «de fausses raisons entre guillemets» pour éviter de verser les dédommagements.

Il estime que la réglementation devrait être révisée de sorte que les voyageurs soient dédommagés, peu importe la raison du délai ou de l’annulation d’un vol puisque les consommateurs sont incapables de confirmer si les pépins sont dus, par exemple, à la météo, un pilote absent ou une pièce défectueuse.

«Il faut que ça soit clair: un vol annulé, ben les gens sont compensés, a-t-il lancé. Si je commande une pizza et qu’on ne me la livre pas, que ce soit parce qu’il y a une tempête de neige ou que ce soit parce que le gars il n’est pas rentré travailler ce matin-là, ils vont me rembourser la pizza.» 

Le député du Nouveau Parti démocratique (NPD) Taylor Bachrach a pour sa part expliqué que les élus veulent s’assurer que la sécurité n’est jamais compromise et que les passagers soient traités «équitablement».

Selon lui, il y a présentement «une vague zone grise au milieu» qui doit être clarifiée puisque les compagnies aériennes attribuent les délais et annulations à des raisons de sécurité quand, dans le fond, à peu près tout dans l’industrie aérienne est lié à la sécurité.