Des manifestants dénoncent un projet de gazoduc porté par le sénateur Joe Manchin

WASHINGTON — Le sénateur américain Joe Manchin a peut-être décroché une victoire législative en faisant inclure un projet de gazoduc dans l’accord sur la suspension du plafond de la dette, mais il a du même coup ravivé le mouvement environnementaliste à Washington.

Pendant que M. Manchin prenait la parole lors d’une discussion sur la politique et l’énergie dans la capitale américaine, mardi, une vingtaine de manifestants ont fait irruption dans la salle pour interrompre son discours.

Ces militants sont furieux contre lui, puisque l’accélération du projet de gazoduc de Mountain Valley a été incorporée à sa demande à l’entente adoptée la semaine dernière.

L’élu démocrate de la Virginie-Occidentale est depuis longtemps reconnu comme étant un sénateur pivot, c’est-à-dire qu’il peut se ranger dans le camp des démocrates ou celui des républicains selon les dossiers, dans un Congrès fortement divisé.

Mardi, il était l’un des principaux invités de l’événement organisé par le média numérique Semafor.

Le médiateur Steve Clemons, rédacteur en chef de Semafor, a finalement conduit M. Manchin et les autres membres de l’auditoire vers une salle de réunion adjacente, où l’entretien a pu reprendre.

La manifestation qui est venue perturber la discussion a mis en évidence le profond fossé qui sépare les partisans de l’exploitation pétrolière aux États-Unis et ses opposants, qui réclament un avenir plus vert pour le pays.

M. Manchin est aussi le sénateur qui porte le dossier de la réforme du processus d’octroi de permis aux États-Unis.

L’objectif de cette réforme est de rendre ce processus plus rapide, afin d’accélérer la mise en chantier de différents projets. Ses détracteurs craignent toutefois qu’elle ne permette d’accroître la production de combustibles fossiles tout en ouvrant la voie à l’exploitation de minéraux critiques.

Un projet de réforme similaire est également en cours au Canada, où le gouvernement fédéral a promis de dévoiler un nouveau système réglementaire plus efficace d’ici la fin de l’année.

Mais des chefs d’entreprise craignent que le Canada ne soit déjà dépassé dans ce domaine par les États-Unis, où les réformes réglementaires incluses dans la Loi sur la responsabilité financière, qui a codifié l’accord sur le plafond de la dette, ne sont qu’un début.

Faire les deux en même temps

Alors que la manifestation se poursuivait dans l’autre salle, M. Manchin a expliqué que sa proposition d’accélérer le projet de gazoduc lui était venue lors de la crise énergétique et inflationniste de l’année dernière, causée en grande partie par la guerre de la Russie en Ukraine.

«Tout allait dans la mauvaise direction. Les chiffres des sondages n’étaient pas bons pour le président (Joe Biden), donc on cherchait tous des solutions.»

«Je lui ai dit: “J’ai quelque chose, mais je ne suis pas sûr que tu vas l’aimer.”»

De là est née la Loi sur la réduction de l’inflation, pièce maîtresse des dépenses climatiques et du paquet fiscal que le président Biden a promulgué en août 2022.

Grâce à M. Manchin, cette loi garantissait que les véhicules électriques fabriqués au Canada seraient éligibles aux crédits d’impôt qui avaient été initialement réservés pour les véhicules électriques fabriqués aux États-Unis.

Le deuxième geste majeur du sénateur Manchin a été inclus dans le projet de loi que M. Biden a signé samedi dans le cadre des négociations sur le plafond de la dette.

Cette nouvelle loi a créé une agence centrale de surveillance des évaluations environnementales, dont le but sera d’éliminer les doublons dans les évaluations actuelles. Le délai avant qu’une décision soit rendue a aussi été plafonné à deux ans au maximum.

L’idée, a-t-il mentionné, est que les États-Unis peuvent avoir les deux côtés de la médaille: s’appuyer davantage sur les combustibles fossiles à court terme, tout en augmentant le nombre de projets concernant les énergies renouvelables.

«On peut marcher et mâcher de la gomme en même temps», a fait valoir M. Manchin.

«Pour assurer notre sécurité énergétique, il faut amener les électrons là où ils sont nécessaires. Et pour ce faire, on a besoin de pipelines», selon lui.

Visions divergentes

Tout le monde lors de l’événement de mardi n’était pas convaincu que les projets de combustibles fossiles, comme le gazoduc de Mountain Valley, pourront coexister avec de nouvelles initiatives d’énergie verte sans aggraver considérablement les effets des changements climatiques.

«Le pipeline de Mountain Valley, à mon sens, échoue sur le plan climatique, économique et communautaire», a affirmé le président du Conseil de défense des ressources naturelles, Manish Bapna.

M. Bapna a cité l’Agence internationale de l’énergie pour rappeler que les nouveaux projets liés aux combustibles fossiles rendraient impossible d’atteindre l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius.

«C’est incompatible», a-t-il martelé, avançant le même argument à propos d’autres projets ailleurs aux États-Unis, y compris le vaste projet de forage Willow en Alaska, que M. Biden a approuvé en mars.

«Si on continue à construire ce type d’infrastructure, ça va être de plus en plus difficile de respecter nos obligations et limiter le réchauffement», a souligné M. Bapna.

«Le modèle économique que nous voulons voir aux États-Unis, que nous voulons voir dans le monde, sera largement porté par le dynamisme et l’innovation d’une économie à énergie propre», a-t-il plutôt soutenu.