L’actualité récente encourage le racisme envers des Canadiens d’origine asiatique

MONTRÉAL — Les récents événements impliquant la Chine ou des ressortissants chinois ont provoqué une recrudescence des actes haineux à l’endroit des Sino-Canadiens, qui sont davantage la cible de micro-agressions.

Arrestation d’un ex-employé d’Hydro-Québec soupçonné d’espionnage, présence de ballons suspects dans le ciel nord-américain, craintes de collecte de données sensibles via l’application TikTok, soupçons d’ingérence dans les élections canadiennes, sans oublier la pandémie de la COVID-19: les tensions géopolitiques qui s’accentuent entre le Canada et la Chine ont des répercussions sur les citoyens canadiens d’origine asiatique.

«Tous ces événements ont renforcé une perception négative à l’endroit de la Chine, et par ricochet envers les Asiatiques, parce que les gens ne font pas la distinction entre le gouvernement chinois et les personnes chinoises qui vivent au Canada et qui n’ont rien à voir avec ce qui se passe», indique Winston Chan, administrateur à la Coalition nationale des Canadiens contre le racisme anti-asiatique. 

Le directeur général du Centre de recherche-action sur les relations raciales, Fo Neimi, estime que bien qu’il soit normal, voire nécessaire,  d’être vigilant et inquiet face aux tentatives d’ingérence de la Chine, il faut éviter les amalgames qui peuvent mener à des dérapages. «Il y a toujours un risque de généralisation, de renforcer des stéréotypes et de croire que toutes les personnes d’origine chinoise sont une menace pour la sécurité publique, prévient-il. Ceci pourrait encourager certains actes déplorables, comme nous l’avons vu dans les premiers mois de la pandémie.»

Cette image négative à l’endroit des Chinois établis au pays – ou les personnes asiatiques en général – se traduit notamment par un climat de méfiance, qui se manifeste à son tour par des agressions verbales ou des mauvaises blagues.

«Es-tu un espion, toi aussi?» est un exemple de microagression vécu par les personnes asiatiques et chinoises, souligne M. Chan.

«On parle de moqueries, de mesquineries, des remarques désobligeantes, énumère celui qui en a été témoin. Au début de la pandémie, on a vu des agressions verbales et physiques dans l’espace public, en pleine rue; maintenant, c’est devenu beaucoup plus subtil et ça a lieu dans les milieux de travail ou même dans des relations personnelles.

«On a pu voir, aussi bien à Montréal qu’ailleurs au Canada, une hausse de signalements d’incidents haineux envers les communautés asiatiques, que ce soit du vandalisme, des messages de haine ou des agressions verbales ou physiques», ajoute-t-il.

Si le moindre commentaire raciste est toléré, la porte est ouverte à une escalade de violence, estime M. Neimi. «Ça commence par des blagues, par des chuchotements qu’on entend dans les bars ou dans les cafés, illustre-t-il. Ça débute avec des mots silencieux, mais si on laisse faire, les expressions de stigmatisation deviendront plus explicites et beaucoup plus publiques.»

Mettre fin au sentiment du «perpétuel étranger»

Bien qu’elles aient crû en raison de l’actualité, les démonstrations racistes à l’endroit des Asiatiques sont loin d’être nouvelles. Elles remontent même à l’arrivée des tout premiers immigrants de l’Est.

«La marginalisation a toujours été là, déplore M. Chan. La perception, à l’époque, c’était que le Chinois était un perpétuel étranger, et les récents événements sont venus renforcer ce stéréotype.

«La communauté asiatique n’est pas le bloc monolithique que beaucoup s’imaginent, ajoute le chiropraticien montréalais. Il y a six millions d’Asiatiques à travers le Canada, dont environ 1,8 million de Canadiens d’origine chinoise. Il y a des immigrants récents, mais aussi des Canadiens qui sont ici depuis deux, trois ou même quatre générations.»

La médiatisation, par la Gendarmerie royale du Canada, d’une enquête portant sur deux organismes communautaires desservant la population chinoise a porté un dur coup, selon lui. Le Centre Sino-Québec de la Rive-Sud et le Service à la famille chinoise du Grand Montréal ont en effet perdu du financement et sont soupçonnés d’abriter des postes de police clandestins visant la répression d’expatriés chinois. 

«Cette sortie médiatique-là va affecter la survie de ces organismes qui offrent d’importants services aux immigrants; ils les accueillent, ils les aident à s’intégrer, à se franciser, et ils sont là pour plein d’autres enjeux, c’est un service qui existe depuis de nombreuses décennies», affirme M. Chan.

Me Mei Chiu, qui a déjà dirigé le Service à la famille chinoise, abonde en ce sens. «Même si les accusations ne s’avèrent pas fondées, cette médiatisation pourrait avoir fait un grand mal à ces organismes communautaires, qui servent la population chinoise de plusieurs façons. Pour moi, si ces allégations font en sorte que notre communauté perd ces institutions, ça constituerait un exemple très sérieux de racisme systémique contre la communauté chinoise», avance-t-elle.

Briser les préjugés

C’est en raison de problématiques comme celle que vivent les Sino-Canadiens que des événements comme la Semaine de lutte contre le racisme et pour l’égalité des chances, qui entame sa 23e mouture ce dimanche, sont encore nécessaires, indique sa coordonnatrice, Samira Laouni.

«Cette semaine a encore sa raison d’être parce qu’on voit encore des débats sur différents enjeux comme l’intersectionnalité ou le racisme systémique, indique-t-elle. Nous devons éclaircir ces enjeux-là, mettre fin à l’incompréhension et offrir des espaces de discussion où on peut échanger dans le respect des uns et des autres.»

MM. Neimi et Chan estiment tous deux que les personnalités politiques et les médias ont un rôle de prévention à jouer pour éviter la stigmatisation des personnes asiatiques établies au pays. «Ça serait important, lorsqu’on parle d’incidents comme ceux qui sont survenus dans les derniers mois, de rappeler qu’il y a une distinction entre le gouvernement chinois et les citoyens québécois ou canadiens d’origine chinoise», martèle M. Chan.

Mme Laouni abonde en ce sens. «Si on prend l’exemple du chemin Roxham, la situation a été instrumentalisée par des politiciens pour gagner du capital politique, mais ça s’est fait sur le dos de tragédies, sur le dos de vies humaines. C’est indécent, dénonce-t-elle. Le choix des mots et la façon de traiter ces personnes peut aussi exacerber un sentiment raciste auprès des communautés ethnoculturelles.»

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Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.