Le président chinois accuse Justin Trudeau d’avoir coulé des informations aux médias

BADUNG, Indonésie — Le président chinois Xi Jinping a reproché au premier ministre Justin Trudeau d’avoir divulgué des informations aux médias à la suite de leur rencontre de mardi, l’accusant au passage de nuire aux relations diplomatiques entre les deux pays, puis l’avertissant dans des remarques non traduites qu’un manque de respect pourrait avoir des conséquences.

Lors d’une discussion qui a pu être enregistrée par les journalistes présents au sommet du G20, mercredi en Indonésie, M. Xi a dénoncé que «tout ce dont (ils ont) parlé a fuité dans les médias», ce qui n’est «pas approprié», selon lui.

«La conversation ne s’est pas passée comme ça», a lancé M. Xi, avant d’être interrompu par M. Trudeau.

Avant que l’interprète n’ait commencé à partager cette partie des remarques, cependant, M. Xi avait poursuivi en disant quelque chose en mandarin qui n’a finalement pas été traduit en anglais. 

«Nous devrions avoir des conservations de manière respectueuse, a déclaré M. Xi en mandarin. Sinon, on ne peut pas prévoir les résultats». 

Lorsque M. Trudeau est intervenu, c’est-à-dire avant que cette partie du message de M. Xi ne soit traduite, il a déclaré: «Nous croyons au dialogue libre, ouvert et franc et c’est ce que nous continuerons à avoir. Nous continuerons à chercher à travailler ensemble de manière constructive, mais il y aura des choses sur lesquelles nous ne serons pas d’accord.»

«Établissons d’abord les conditions», a répondu le président Xi par l’intermédiaire d’un traducteur.

Les deux dirigeants se sont serré la main à la fin de la discussion.

Le bureau de Justin Trudeau a indiqué que les deux hommes ont aussi discuté de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, de la Corée du Nord et des changements climatiques lors d’une brève rencontre au sommet.

Ingérence de la Chine 

M. Trudeau s’est entretenu avec M. Xi mardi et son bureau a affirmé qu’il avait fait part de ses préoccupations concernant l’ingérence de la Chine au Canada. Le premier ministre n’a pas précisé de quel type d’ingérence il s’agissait, mais ce commentaire fait suite à des allégations selon lesquelles Pékin dirigerait de facto des postes de police au Canada et que la Chine se serait ingérée dans les élections fédérales de 2019.

Début novembre, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a confirmé qu’elle enquêtait sur des informations faisant état d’activités criminelles liées à de soi-disant postes de «police» qui, selon un groupe de défense des droits de la personne, sont gérés par la Chine à l’intérieur des frontières canadiennes.

Dans une affaire distincte, un ancien employé d’Hydro-Québec est devenu la première personne au Canada à être accusée d’espionnage économique cette semaine après que la police l’ait arrêté pour avoir prétendument obtenu des secrets commerciaux pour le gouvernement chinois.

Et un comité de la Chambre des communes a décidé de lancer une enquête sur une éventuelle ingérence électorale cette semaine après qu’un rapport du Global News plus tôt ce mois-ci a cité des sources anonymes pour alléguer que la Chine était derrière une campagne d’ingérence étrangère et avait financé un réseau secret qui comprenait au moins 11 candidats aux élections fédérales de 2019.

Le porte-parole conservateur en matière d’affaires étrangères, Michael Chong, a déclaré mercredi à l’extérieur d’une réunion du caucus qu’il estimait que M. Trudeau n’était «pas préparé» à représenter les intérêts et les valeurs du Canada lors du sommet.

«Au lieu d’avoir des conversations privées avec le président Xi, dont le gouvernement s’est immiscé dans notre démocratie, (le) premier ministre doit rendre des comptes à cette Chambre et dire publiquement aux Canadiens qui sont ces 11 candidats afin que nous puissions prendre des mesures pour que cela ne se reproduise pas à l’avenir», a fait valoir M. Chong. 

Le leader adjoint à la Chambre de l’opposition officielle, le conservateur Luc Berthold, a aussi été critique à l’égard de Justin Trudeau. «Je pense que M. Trudeau aurait du arriver mieux préparé pour être capable d’affronter et de faire face au président Xi». 

Par rapport aux 11 candidats, M. Berthold a dit qu’il avait demandé au premier ministre de dévoiler le nom des candidats, mais qu’il refuse. «On peut légitimement se poser la question: ‘est-ce que parmi ces 11 candidats il y en a qui sont des élus actuels ou des candidats éventuels du Parti libéral’», a-t-il soulevé. 

M. Berthold a reconnu qu’on peut aussi se demander s’il y a des conservateurs parmi les 11 candidats, mais selon lui, le fait que M. Trudeau ne dévoile pas les noms lui «laisse croire qu’il peut y avoir des candidats libéraux». 

Transparence 

M. Trudeau a attribué l’incident avec le président Xi à différentes attentes de transparence.

«Le Canada fait confiance à ses citoyens en leur donnant des informations sur les conversations que nous avons en leur nom en tant que gouvernement», a-t-il déclaré aux journalistes. 

«C’est un système très différent en Chine et je pense qu’il (M. Xi) n’a pas toujours l’habitude de l’ouverture qu’un chef démocratique peut et doit avoir avec ses citoyens», a affirmé le premier ministre lors de son point de presse de clôture du G20.

Il a également réitéré que le Canada peut travailler avec la Chine sur des questions comme la biodiversité, mais que le pays représente tout de même une menace pour la stabilité mondiale en sapant les normes internationales, allant du commerce aux droits de l’homme.

«Je n’hésiterai pas à être ouvert avec les Canadiens, même si nous discutons de sujets importants et parfois délicats», a déclaré M. Trudeau. 

Il a ajouté qu’il s’agissait de «trouver le bon équilibre entre être ouvert sur les désaccords et les problèmes que nous avons soulevés, tout en étant capable de travailler de manière constructive».

À Ottawa, le ministre de l’Industrie François-Philippe Champagne s’est dit «satisfait» que Justin Trudeau «se lève comme il le fait toujours pour le Canada» et a dit «que nous ne tolérerons pas ce genre de choses en matière d’ingérence».

M. Chong estime pour sa part que c’est un signe que le gouvernement canadien «prend lentement conscience» de la menace contre laquelle les conservateurs lui demandent d’agir depuis des années. 

— Avec des fichiers de Nono Shen à Vancouver et de Stephanie Taylor à Ottawa.