Ottawa dévoile finalement sa stratégie pour l’Afrique, promise depuis longtemps
OTTAWA — Les libéraux ont dévoilé jeudi leur stratégie pour l’Afrique promise depuis longtemps, mais sans le financement et la tempête médiatique qui ont accompagné leur plan pour l’Asie.
La stratégie appelle à mettre davantage l’accent sur la coopération commerciale et sécuritaire avec des entités comme l’Union africaine, alors qu’Ottawa et les entreprises vont au-delà de l’aide.
Le document cite les récentes promesses de dépenses et d’investissement du gouvernement, mais n’offre aucun nouvel argent.
«La programmation dans le cadre de la stratégie sera recalibrée pour soutenir la réalisation des priorités existantes tout en mettant davantage l’accent sur la coopération économique et les partenariats de paix et de sécurité», indique le document.
Certains défenseurs espéraient que la stratégie offrirait des initiatives plus spécifiques et nommerait les pays avec lesquels le Canada souhaite nouer des liens plus étroits, comme l’a fait la stratégie indopacifique.
Le document appelle plutôt à «cibler les efforts diplomatiques sur les pays partageant des valeurs et des objectifs communs» dans le cadre d’une «nouvelle politique étrangère robuste» sur le continent.
Il énumère cinq priorités, dont les droits de la personne, la collaboration avec les dirigeants africains au sein des institutions multilatérales et l’envoi de davantage de diplomates sur le continent.
«De toute évidence, la grande nouvelle ici est qu’il n’y a pas de nouveau financement associé», a déclaré David Boroto, un dirigeant de l’association caritative Engineers Without Borders.
Selon lui, le lancement sans cérémonie de la stratégie et le temps qu’il a fallu pour la développer montrent «une dépriorisation relative» du continent par rapport à l’Indo-Pacifique.
«L’Afrique a besoin du financement, des investissements et de l’attention nécessaires à la mesure de son importance mondiale aujourd’hui», a déclaré M. Boroto, qui a vécu dans plusieurs régions africaines.
Le gouvernement s’engage à ouvrir cette année un bureau en Afrique du Sud axé sur le financement du développement, en plus des missions diplomatiques déjà annoncées au Bénin et en Zambie.
La stratégie prévoit une «mission commerciale de haut niveau en Afrique» axée sur les minéraux critiques, les infrastructures et l’innovation, ainsi que la création d’un pôle commercial continental et une augmentation des accords d’investissement.
Ottawa dit vouloir que les diplomates et les entreprises saisissent les opportunités offertes par la population jeune du continent, qui devrait être le moteur d’un boom économique dans les décennies à venir.
La stratégie souligne que les conflits au Soudan et en République démocratique du Congo «n’ont pas reçu l’attention mondiale qu’ils méritent», même si les défenseurs suggèrent que les libéraux ont trop tardé à dénoncer les parties à l’origine des deux conflits.
En 2022, le gouvernement libéral a lancé sa stratégie indopacifique avec une conférence de presse, des discours liminaires et un financement de 2,3 milliards $.
Le document de stratégie pour l’Afrique a été publié jeudi lors d’un événement à Toronto auquel les membres de la tribune de presse parlementaire n’étaient pas invités.
D’importantes lacunes
Kofi Achampong, un avocat né au Ghana qui a appelé Ottawa à lancer la stratégie, l’a qualifié de «moment marquant» compte tenu des tentatives infructueuses des gouvernements précédents de définir leurs priorités pour le continent.
Mais il a déclaré que la politique présentait d’importantes lacunes, citant un manque de projets spécifiques «stratégiquement liés» à un financement dédié pour chacun.
«C’est un document qui, à bien des égards, semble résumer ce que le Canada faisait déjà», a déclaré Me Achampong.
Il a ajouté que certaines parties de la stratégie étaient «difficiles à lire», car elles se concentraient sur les efforts déployés par le Canada sur le continent au fil du temps, sans offrir de détails sur les opportunités qu’Ottawa y voit.
«Certains aspects du langage semblent — et je vais être honnête — un peu paternalistes, avec même quelques connotations coloniales.»
Me Achampong a déclaré qu’il serait erroné pour la stratégie d’ignorer les conflits et l’instabilité sur le continent, mais le document pourrait «exagérer» ces questions et compromettre ses objectifs déclarés de tirer parti des investissements et des gains démocratiques.
La stratégie indique que le continent est riche en «agents pathogènes naturels préoccupants sur le plan biologique, dont des échantillons sont à leur tour recherchés et récoltés à des fins potentiellement malveillantes par des États et des organisations terroristes».
Le gouvernement a retardé la publication de sa stratégie pour l’Afrique plus d’une fois et l’a à un moment donné rétrogradée au rang de cadre. La députée libérale Arielle Kayabaga a récemment averti que la décision du gouvernement de proroger le Parlement signifiait qu’il pourrait ne pas y avoir de nouveau financement dans la stratégie.
Le document stratégique de jeudi indique qu’Ottawa a affecté 4,5 milliards $ à l’aide à l’Afrique au cours des cinq dernières années, et que ce financement a augmenté de 52 % au cours des huit dernières années.
Il indique qu’Ottawa ciblera les dépenses vers l’emploi des jeunes.
La stratégie ne mentionne pas de changements dans la manière dont le Canada délivre des visas de visiteur et d’étudiant aux Africains, malgré les allégations répandues selon lesquelles le Canada est trop restrictif et nuit à son rayonnement en bloquant les fonctionnaires, les universitaires et les athlètes.
Kofi Achampong a noté que les libéraux avaient peu d’engagements avec l’Afrique jusqu’à ce qu’ils fassent campagne pour un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies vers 2019.
La campagne a échoué, et Me Achampong a affirmé que c’était un signal d’alarme indiquant que «nous ne sommes pas considérés comme un véritable partenaire en Afrique comme nous aurions pu l’être».
Il a ajouté qu’il était heureux que les libéraux se soient engagés à tirer les leçons de cette confrontation avec la réalité.
