«Pleins de marde»: «A-t-il besoin de l’absolution du Pape», demandent les libéraux

OTTAWA — Les libéraux reprochent aux conservateurs et aux bloquistes de tenir un «double discours» et de s’acharner sur leur collègue franco-ontarien Francis Drouin malgré qu’il se soit excusé pour ses propos vulgaires à l’égard de témoins.

«C’est un petit péché. (…) Il a fait une erreur. Mais a-t-il besoin de l’absolution du pape? Ça n’a pas d’allure. Franchement!», a lancé lundi soir Marc Serré, le secrétaire parlementaire du ministre des Langues officielles lors d’une réunion d’urgence du comité des langues officielles qui s’est tenue malgré le jour férié.

Les élus avaient été convoqués pour débattre d’une motion demandant à ce que M. Drouin soit retiré du comité des langues officielles et qu’il démissionne de son poste de président de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF).

M. Serré a souligné à grands traits le caractère «relatif» de l’indignation des conservateurs. Il a notamment rappelé que leur porte-parole en matière de Patrimoine canadien, Rachael Thomas, avait demandé dans un autre comité à la ministre Pascale St-Onge de «ne pas parler en français (…) ici, à Ottawa».

Or, malgré le tollé, l’élue s’était simplement excusée. «Elle l’a fait à une reprise, a-t-il noté. Il n’y a pas eu des motions. Il n’y a pas eu de perte de temps.»

Questionné à savoir si les conservateurs ont une approche de deux poids, deux mesures, leur porte-parole en matière de langues officielles, Joël Godin, a affirmé qu’il lui «manque des informations» et, de toute manière, il ne commente pas ce qui se déroule dans d’autres comités.

En présentant sa motion, son homologue bloquiste, Mario Beaulieu, a expliqué que de traiter des témoins militants pour la protection du français d’«extrémistes» et de «pleins de marde» était «totalement inacceptable, surtout sur le ton, un ton très agressif» et qu’il s’agit d’une «charge d’intimidation».

Il a plus tard qualifié d’«extrémiste» le député libéral Anthony Housefather et «d’autres députés», mais a immédiatement retiré ses propos. En entrevue, M. Beaulieu a indiqué qu’il s’excusera «s’ils me le demandent».

La motion a reçu l’appui de tous les partis sauf des libéraux. Elle avait cependant été jugée non recevable par le président du comité, René Arseneault.

«J’ai mijoté. J’ai lu. J’ai consulté des mieux que nous sur la procédure, a-t-il expliqué. Le président, ni même le comité, ne peut sanctionner, ne peut censurer les propos d’un membre du comité. (…) C’est dans nos règlements. (…) C’est écrit noir sur blanc.»

Chez les conservateurs, Joël Godin a tranché que M. Drouin n’a plus «la légitimité» de siéger au comité et qu’il doit être rappelé «à l’ordre».

Il s’est également désolé que les libéraux se soient rués pour devenir membres de la section canadienne de l’APF de sorte à être majoritaires lors d’une réunion exceptionnelle de l’organisation prévue jeudi pour démettre leur collègue de ses fonctions.

«Chez les libéraux, « un chum, c’t’un chum », a lancé M. Godin. Ils sont prêts à tout pour sauver le soldat Drouin.»

Pour son vis-à-vis du Nouveau Parti démocratique, Niki Ashton, M. Drouin a entaché non seulement sa réputation, mais également celle de tout le comité. Selon elle, M. Drouin démontre une «arrogance troublante» en s’en tenant à des excuses sans toutefois «prendre des distances du comité de l’assemblée» pour réfléchir.

Drouin contre-attaque

Lors du débat, le député Drouin a une fois de plus reconnu avoir tenu des propos «injurieux» il y a deux semaines et s’est à nouveau «sincèrement» excusé. «En même temps, j’ose croire que mes actions parlent beaucoup plus fort (…) que le fait que je me suis obstiné avec quelqu’un et que je n’ai pas été respectueux», a-t-il poursuivi.

M. Drouin a relaté les batailles qu’il a menées pour le dénombrement des ayants droit, pour les juges bilingues «même quand mon propre gouvernement était contre», ou encore lorsqu’il avait reproché à ses collègues du «Montreal island» de faire «un show de boucane honteux» de l’étude du projet de loi sur la modernisation des langues officielles.

«Je porte toujours et avant tout des couleurs vert et blanc, et ça, c’est tatoué sur le cœur», a-t-il dit, en référence aux couleurs du drapeau franco-ontarien.

L’élu de Glengarry–Prescott–Russell a lui aussi envoyé quelques flèches aux conservateurs qui n’ont pas dénoncé leur chef, Pierre Poilievre, lorsqu’il a traité les maires de Montréal et de Québec d’«incompétents» et le premier ministre Justin Trudeau de «cinglé» sans jamais s’excuser. M. Poilievre est «le PDG des insultes», a lancé M. Drouin.

Le député Drouin a aussi reproché au Bloc québécois d’attaquer son «intégrité» en ayant entrepris «une campagne de désinformation» en affirmant qu’il n’appuie pas la francophonie, voire qu’il nie le déclin du français.

M. Drouin reproche également le «silence» lorsque des chroniqueurs dont il les juge proches qualifient les francophones hors Québec «de canard boiteux, ou de « dead ducks », ou de cadavres chauds ou de communauté sous respirateur artificiel ou, le plus récent, de cajun qui baragouine».

Toujours chez les libéraux, la députée Mona Fortier a décrit M. Drouin comme un homme qui «se débat d’arrache-pied (pour) défendre la francophonie».

Son collègue de la Nouvelle-Écosse Darrell Samson a appelé les élus de l’opposition à se «regarder dans le miroir», à cesser la «petite politique» et de faire «ce qui est bien pour le français».

«Ça prend des individus comme lui pour poursuivre la bataille qui n’a presque jamais de fin, a dit M Samson. Il a beaucoup à offrir. (…) C’est un soldat dont on a besoin pour assurer la francophonie. On est tous ensemble.»

Lors de la réunion litigieuse, les deux témoins avaient expliqué, en s’appuyant sur des données de Statistique Canada, que lorsqu’un francophone ou un allophone fréquente une université ou un cégep anglophone, cela augmente significativement la probabilité qu’il mène sa vie en anglais.

En plus de leur lancer des insultes, M. Drouin leur avait demandé s’ils croient sincèrement que l’Université McGill et le Collège Dawson constituent «le gros problème de l’anglicisation au Québec».