Privatisation de la santé: Ottawa coupe de 82 M$ des transferts en santé

OTTAWA — Jugeant «inacceptable» et ne pouvant «tolérer» que des patients aient eu à débourser de l’argent pour des services de diagnostic, Ottawa passe de la parole aux actes et retranchera dans les prochaines semaines 82 millions $ des sommes versées aux provinces et territoires, dont 41 millions $ au Québec.

La décision annoncée vendredi fait suite à une «lettre d’interprétation» de la Loi canadienne sur la santé remontant à 2018 qui portait sur ces services, comme des échographies, des imageries par résonance magnétique (IRM) et des tomodensitogrammes.

La somme de 82 millions $ correspond à ce qu’Ottawa estime que les Canadiens ont payé de leur poche «pour accéder à des services de santé assurés qui devraient être gratuits» dans le cadre des transferts en santé pour 2020-2021, soit la première année où la politiqueétaiten vigueur. La somme est composée de 76 millions $ pour les services de diagnostics et de 6 millions $, surtout pour l’avortement, ce qui ne touche pas le Québec.

À titre de comparaison, Ottawa verse aux provinces et territoires pour l’année en question 41,9 milliards $ au titre du transfert canadien en matière de santé. Il s’agit donc d’une réduction de 0,2 %.

Mais Ottawa offre aussi une carotte. Les provinces qui cessent de violer la Loi canadienne sur la santé dans les deux prochaines années pourront récupérer les sommes.

C’est «une opportunité importante» y compris pour «nous Québécois», a soutenu M. Duclos, pointant du doigt la Colombie-Britannique qui est en train de corriger le tir.

Il n’en fallait pas plus pour que le Bloc québécois qualifie de «sans cœur», deux fois plutôt qu’une durant la période des questions, quiconque «en cette Chambre» juge le moment approprié pour couper dans les transferts en santé, alors que «c’est la crise partout» et que les gouvernements ont «toute la misère du monde à soigner les gens comme ils le méritent».

«Est-ce que le ministre a visité un hôpital récemment? Est-ce qu’il a ouvert sa télé ou même lu un journal», s’est indignée la leader adjointe bloquiste, Christine Normandin.

Dans une question de suivi, elle s’est dite estomaquée que le ministre «pousse le bouchon jusqu’à aller dire que c’est une opportunité».

Frais pour les soins virtuels

Ottawa veut également que les patients plus fortunés cessent d’avoir un meilleur accès au système de santé en payant pour des consultations médicales en ligne ou des soins virtuels et menace les provinces récalcitrantes de couper dans les montants qui leur sont versés.

«Dans les cas où les patients se voient imposer des frais pour ces services, je me verrai dans l’obligation, en conformité avec la Loi, de réduire les transferts fédéraux en matière de santé d’un montant équivalent», écrit le ministre Duclos à ses homologues des provinces et des territoires dans des lettres qu’il leur a transmises jeudi.

Dans ses missives, le ministre se dit «préoccupé» par une hausse récente de cas signalés et affirme que les améliorations dans la façon dont sont prodigués les soins de santé ne devraient pas servir de «prétexte» pour autoriser des frais «qui auraient été autrement couverts s’ils avaient été prodigués en personne par un médecin».

«Qu’ils soient fournis en personne ou virtuellement, il est essentiel que l’accès aux services médicalement nécessaires demeure gratuit et continue d’être fondé sur les besoins médicaux», insiste-t-il.

M. Duclos estime que la situation doit être «examinée et réglée» et qu’il entend «clarifier ce point» dans une lettre d’interprétation de la Loi canadienne sur la santé afin de s’assurer que l’évolution du système soit fidèle à son esprit et son intention.

Le système de santé canadien repose sur des «principes communs» — notamment sa nature publique et universelle — auxquels le gouvernement fédéral est «fermement attaché» et «dont le respect (…) a toujours été lié aux paiements fédéraux dans le cadre du Transfert canadien en matière de santé», ajoute le ministre.

Les consultations virtuelles sont en forte croissance depuis le début de la pandémie de COVID-19. Selon Ottawa, en trois ans, la proportion de soins de santé prodigués de cette manière est passée de 3 % à 18 %.

La populaire plateforme Maple offre, par exemple, de consulter virtuellement un médecin généraliste autorisé à exercer au Canada pour 69 $ ou de le faire jusqu’à 30 fois par an avec un forfait facturé 30 $ mensuellement. 

Des régimes d’avantages sociaux proposent également des services de télémédecine privée. Dans certains cas, les patients paient directement les frais puis se font rembourser par leur assurance collective.

Ottawa reconnaît que la fourniture des soins a toujours été en partie privée et elle le restera, mais qu’au chapitre du paiement, le gouvernement Trudeau juge «absolument hors de question» que les Canadiens aient à sortir «leur carte de crédit».

L’appui du NPD

Sur Twitter, le porte-parole du Nouveau Parti démocratique en matière de santé, Don Davies, a félicité le ministre Duclos de «sévir contre la surfacturation» au pays.

«Nous avons besoin que notre gouvernement fédéral protège les patients et applique fermement la Loi canadienne sur la santé, a-t-il écrit. J’espère que le plaidoyer persistant du NPD pour des soins de santé publics pour tous a joué un rôle dans cette mesure bienvenue.»

M. Duclos a nié que la sortie de vendredi à l’endroit des provinces vise à transmettre un message au NPD pour les convaincre que les libéraux sont de bons partenaires à quelques semaines du dépôt du budget fédéral.

«C’est surtout relié aux doléances qu’on entend des Canadiens (…) qui voient dans certains cas un défi en termes d’accessibilité et d’équité et de gratuité des soins», a-t-il répondu.

Et même à ceux qui estiment qu’Ottawa redonne d’une main ce qu’il prend de l’autre, étant en train de conclure des ententes bilatérales sur la santé de plusieurs milliards, le ministre Duclos insiste que le moment de l’annonce n’a pas été choisi.

Depuis les «40 dernières années», a-t-il mentionné, Ottawa informe les provinces des déductions à la fin de l’année fiscale, soit en mars, en parallèle avec l’envoi des transferts canadiens santé pour l’année qui va suivre.

Au cours des derniers mois, le recours au privé dans les soins de santé, particulièrement en Ontario, a fait abondamment grincer les dents des néo-démocrates avec lesquels les libéraux, qui dirigent un gouvernement minoritaire, ont une entente «de soutien et de confiance» afin de se maintenir au pouvoir.

Le chef du NPD, Jagmeet Singh, a d’ailleurs dit constater que le premier ministre Justin Trudeau considère visiblement le privé comme «solution innovante» pour régler les problèmes et l’a accusé de faire «volte-face» par rapport à ses positions passées.

Le gouvernement progressiste-conservateur du premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a annoncé en janvier le transfert de certaines procédures vers des établissements privés financés par l’État dans le but de réduire une liste d’attente croissante pour les chirurgies, qui s’est aggravée pendant la pandémie de COVID-19.

Des provinces comme le Québec, l’Alberta et la Saskatchewan ont déjà adopté des mesures similaires pour réduire leurs listes d’attente et désengorger les salles d’opération des hôpitaux, notamment pour les chirurgies de la cataracte, de la hanche et du genou.