Registre des agents étrangers: une conseillère avait mis Trudeau en garde

OTTAWA — La conseillère à la sécurité nationale, Jody Thomas, avait mis en garde le premier ministre fédéral Justin Trudeau à propos de possibles réactions négatives à l’occasion des consultations publiques prévues sur le registre des agents étrangers.

Dans une note transmise au mois d’août, Mme Thomas mentionnait que ces discussions pourraient entraîner une grande diversité de réactions, allant des fortes louanges aux réserves.

«Les inquiétudes pourraient être encore plus grandes, puisque certains gouvernements étrangers, comme la Russie, ont utilisé des ‘registres d’agents étrangers’ pour faire taire les militants et fermer des organismes critiques du gouvernement», a déclaré Mme Thomas.

Cependant, a-t-elle dit, les experts en sécurité nationale, les alliés du Canada et les groupes de la diaspora ciblés par des États hostiles «accueilleront probablement favorablement ces mesures».

La Presse Canadienne a obtenu la note, estampillée «Secret/Réservé aux Canadiens», par l’entremise de la Loi sur l’accès à l’information. Des parties du document, y compris des discussions confidentielles du cabinet et des informations sur des consultations internes, n’ont pas été partagées.

La note révèle que M. Trudeau a eu une discussion le 30 juin dernier avec le premier ministre australien, Anthony Albanese, au sujet de «la mise en place d’un registre des agents étrangers au Canada et de l’expérience de l’Australie à cet égard».

L’Australie a introduit il y a cinq ans son Foreign Influence Transparency Scheme Act afin d’empêcher toute ingérence extérieure dans les affaires du pays.

À l’échelle internationale, les registres d’agents étrangers sont considérés comme l’une des meilleures pratiques pour contrer l’influence extérieure malveillante, indique la note. La loi américaine sur le registre des agents étrangers est en vigueur depuis 1938 et le Royaume-Uni a également décidé de mettre en œuvre un tel système.

Les registres peuvent exiger que les individus s’enregistrent officiellement auprès du gouvernement qu’ils essaient d’influencer pour rendre ces interactions plus transparentes, avec la possibilité d’amendes ou même de peines de prison si l’on manque à ce devoir.

À la suite d’une rafale d’articles médiatiques sur des allégations d’ingérence étrangère, Sécurité publique Canada a annoncé plus tôt ce mois-ci des consultations publiques sur la façon dont le Canada pourrait mettre en œuvre un registre.

Cependant, la note de Mme Thomas indique que l’été dernier, le ministère envisageait des consultations publiques encore plus larges qui exploreraient non seulement la possibilité de créer un registre étranger, mais aussi d’autres mesures pour contrer ce que le gouvernement appelle des activités hostiles d’acteurs étatiques.

De telles activités, destinées à miner les intérêts du Canada, comprennent des actions qui sont trompeuses, coercitives, secrètes, menaçantes ou illégales. Leurs objectifs sont d’influencer des décisions, d’obtenir des avantages militaires ou économiques ou d’accéder à des informations ou technologies sensibles.

«Les acteurs hostiles sont devenus de plus en plus aptes à exploiter le système ouvert et démocratique du Canada», soutient la note.

Des consultations plus larges pourraient se pencher sur des modifications à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, au Code criminel ou à la Loi sur la protection de l’information, ajoute-t-il.

Mme Thomas a confirmé à M. Trudeau que «conformément à vos instructions, votre bureau est engagé dans la planification des consultations».

Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, avait signalé lors d’une entrevue à la fin de novembre que le gouvernement avait l’intention de tenir des consultations publiques sur un registre des agents étrangers.

Mais il a également souligné l’importance de doter les forces de l’ordre et la sécurité nationale d’«un large éventail d’outils» pour contrer non seulement l’ingérence étrangère, mais aussi «les activités hostiles commises par des acteurs étatiques et non étatiques», les cyberattaques et l’extrémisme idéologique.

Le bureau de M. Mendicino n’a pas immédiatement commenté la possibilité de consultations plus larges.

Au-delà des exigences de divulgation publique pour les agents étrangers, le programme australien de transparence de l’influence étrangère impose des obligations de s’enregistrer et des interdictions supplémentaires pour les anciens ministres et hauts fonctionnaires, note Mme Thomas.

Il comprend une obligation d’enregistrement à vie pour les anciens ministres qui continuent à travailler pour un mandant étranger après avoir quitté la fonction publique. De plus, tout Australien qui a agi en tant qu’agent étranger ne peut pas siéger au cabinet.

L’expérience de l’Australie montre que certains anciens politiciens et hauts fonctionnaires ont choisi de cesser leurs activités en tant qu’agents étrangers plutôt que de voir leurs associations rendues publiques, indique la note. D’autres organismes ont interrompu leurs activités pour éviter d’avoir à s’enregistrer ou ont clarifié de manière proactive leurs arrangements avec des mandants étrangers afin de se conformer à la loi.