Suspendre les exportations d’énergie: «Tout est sur la table», dit Trudeau
OTTAWA — Le Canada n’écarte rien, y compris de suspendre les exportations d’énergie, advenant que la prochaine administration Trump mette à exécution sa menace de tarifs sur les importations canadiennes, et ce, même si certaines provinces s’y opposent.
«Tout est sur la table», a insisté mercredi le premier ministre fédéral, Justin Trudeau, incluant donc, indirectement, de sévir au moyen du pétrole, du gaz et de l’électricité.
Tout au long de la conférence de presse conjointe clôturant une journée de rencontre avec ses homologues provinciaux, à Ottawa, il a, comme les autres premiers ministres à ses côtés, répété ad nauseam qu’il espère que Donald Trump renonce aux tarifs.
M. Trudeau a néanmoins assuré que, si le Canada doit répliquer, la réponse serait «ferme» et que «le fardeau» serait «partagé» à travers le pays, une réponse à l’Alberta et la Saskatchewan qui veulent exclure l’énergie – dont ils sont de grands producteurs.
«On ne peut pas punir une région ou une autre parce qu’elle aurait plus d’impact sur les États-Unis, a dit M. Trudeau. On va être équitable, mais on sait qu’on va aussi être sans équivoque.»
Une source gouvernementale fédérale bien au fait de la stratégie canadienne, mais qui n’était pas autorisée à parler publiquement, a expliqué à des journalistes que l’objectif d’Ottawa n’est pas d’imposer des tarifs pendant une «décennie», mais bien de pousser les Américains à abandonner les leurs.
Et alors que les premiers ministres des provinces et des territoires tentaient péniblement de s’entendre, mercredi, sur les représailles qui seraient imposées aux Américains, des premiers ministres d’abord réfractaires ont clairement envisagé l’idée de fermer le robinet aux voisins américains.
«Il ne faut rien exclure incluant l’énergie, l’électricité», a déclaré le premier ministre du Québec, François Legault, laissant entendre que ce serait également le cas de l’électricité – une idée qu’il refusait jusque là d’envisager.
Le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, Andrew Furey, lui aussi réticent, a plaidé pour une réplique «proportionnée», mais «forte».
«Les exportations d’énergie canadienne vers les États-Unis constituent notre reine dans ce jeu d’échecs, a-t-il illustré. Et nous devons nous assurer de la protéger. Quiconque joue aux échecs sait qu’il ne faut pas sortir sa reine trop tôt. Ça ne veut pas dire que vous ne la déplacerez pas.»
Or, des tarifs à l’exportation constitueraient «la conversation la plus divisive que ce pays n’ait jamais connue», a résumé plus tôt en journée le Saskatchewanais Scott Moe.
M. Moe a plaidé pour l’imposition de tarifs de rétorsion sur des produits spécifiques, un peu comme ce qui s’est fait dans les dernières années avec l’acier. Cela aurait un impact plus ciblé sur «les décideurs politiques spécifiques à travers les États-Unis», a-t-il insisté.
La première ministre albertaine, Danielle Smith, qui s’était rendue en Floride dans les derniers jours pour rencontrer le président élu Trump, a pris part virtuellement à la rencontre. «Est-elle à Mar-a-Lago?» a immédiatement lancé son homologue du Québec, François Legault, en l’apercevant sur un écran dans un décor tropical.
Le verni d’unité craque
Autre signe que la fameuse «Équipe Canada» vacillait par moments, Mme Smith était absente du point de presse et a refusé de signer le communiqué de presse conjoint.
Sur X, elle a expliqué que sa province ne veut rien savoir de l’idée que fait circuler «en privé et en public» Ottawa d’imposer des tarifs sur les exportations d’énergie ou de carrément les interdire.
«Tant que ces menaces ne cesseront pas, l’Alberta ne sera pas en mesure de soutenir pleinement le plan du gouvernement fédéral visant à faire face aux menaces tarifaires», a-t-elle écrit.
L’Ontarien Doug Ford, qui préside également le Conseil de la fédération cette année, a reconnu que les discussions ont été «robustes».
Celui-ci est arrivé avec une casquette sur laquelle était écrit en anglais «Le Canada n’est pas à vendre» (Canada is not for sale), une référence à peine voilée aux casquettes «Make America Great Again» de Donald Trump.
S’adressant aux journalistes, M. Ford, qui prend de plus en plus les allures d’un «Capitaine Canada», a rétorqué que M. Trump veut «détruire notre économie» et que «le pays passe d’abord».
«Le Canada est la priorité, a-t-il rappelé. Et je ne crois pas qu’il faille mettre en péril un secteur ou un autre. Le pétrole de la première ministre Smith est le secteur automobile de l’Ontario.»
M. Trudeau a renchéri en rappelant que le président Trump a pourtant dans sa mire le pacte automobile.
«Vous n’entendez pas Doug (Ford) dire: « oh, quoi qu’il arrive, nous devons protéger le… » – oui, il le dit, mais ce n’est pas au détriment de tout le reste», a envoyé M. Trudeau.
Le premier ministre néo-démocrate du Manitoba, Wab Kinew, a vanté le style direct de M. Ford. M. Kinew, un néo-démocrate, l’a complimenté au passage sur sa casquette, disant souhaiter, tout sourire, qu’elle existe «en orange».
Il s’est dit «fier» de voir que des libéraux, des conservateurs et des néo-démocrates se rassemblent pour défendre les emplois et le mode de vie des Canadiens.
«Et j’espère que ce sentiment de fierté (…) se répand dans la société en général, de sorte que lorsque vous allez au magasin, cette fierté canadienne vous pousse à acheter ce produit fabriqué au Canada, que lorsque vous prenez vos grandes décisions, vous choisissez de faire des investissements ici.»
Lettre aux Américains
Dans une lettre ouverte parue le matin même dans le média américain The Hill, le premier ministre Legault a écrit directement aux Américains pour les prévenir qu’une telle politique pourrait se retourner contre eux.
Il a souligné que le Québec exporte aux États-Unis de l’aluminium, ainsi que des fournitures pour l’aviation militaire américaine – des produits que le pays ne pourra pas produire lui-même à court et moyen terme, dit-il.
Ainsi, avec des tarifs, les Américains finiront par payer plus cher pour ces produits, selon M. Legault.
Le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, a quant à lui dévoilé une lettre à M. Trudeau dans laquelle il réclame que les rencontres des premiers ministres soient élargies «de manière permanente» pour inclure «tous les partis fédéraux représentés au Parlement, les organisations autochtones, les syndicats et les chefs d’entreprise et d’industrie».
Le ministre de l’Immigration, Marc Miller, qui était en conférence de presse au même moment, lui a répondu qu’il n’entend pas inviter M. Singh aux réunions entre les premiers ministres, mais qu’il devrait être consulté. «Vous êtes un premier ministre pour une raison. (…) Devrait-il venir à chaque réunion? Absolument pas», a-t-il lancé.
Donald Trump, qui sera assermenté lundi prochain, a promis de mettre en place des tarifs de 25 % sur toutes les importations canadiennes et mexicaines aux États-Unis, et ce, au moyen d’un décret exécutif qu’il compte mettre en œuvre dès le premier jour de sa présidence.
Le discours de M. Trump au sujet des tarifs a changé ces derniers jours. S’il insistait initialement sur le manque de surveillance à la frontière, il met désormais l’accent sur le déficit commercial des États-Unis envers le Canada, qui revient à dire que les États-Unis «subventionnent» leur voisin du nord, à son avis.
– Avec des informations d’Émilie Bergeron