Une professeure à la retraite se souvient de la bataille pour le droit à l’avortement

CALGARY — Betsy Jameson a trouvé un morceau de papier jaune en 2017 lorsqu’elle a nettoyé son bureau après avoir pris sa retraite du département d’histoire de l’Université de Calgary.

Le papier, délavé et légèrement taché, portait les noms et numéros de téléphone de trois médecins de New York et du New Jersey. La note datait de l’été 1967, alors qu’elle était une étudiante de 20 ans en formation pour devenir conseillère dans une résidence universitaire de l’Ohio.

Les noms étaient ceux des médecins qui pratiquaient des avortements à une époque où cette pratique était illégale dans la plupart des États.

«Je pensais que c’était seulement une pièce intéressante d’antiquité personnelle, jusqu’à hier soir», a écrit Mme Jameson, âgée de 75 ans, sur Facebook en mai.

Sa publication, qui, selon elle, était sa première concernant un sujet controversé, est a été faite au lendemain de la fuite d’un projet d’avis suggérant que la Cour suprême des États-Unis était sur le point d’invalider l’arrêt «Roe contre Wade», qui a légalisé l’avortement dans tout le pays en 1973.

«J’étais complètement furieuse, a-t-elle reconnu en entrevue avec La Presse Canadienne. J’ai essayé de me calmer, parce que je n’ai pas l’habitude de demeurée fâchée.

«Donc j’ai décidé que je devais faire quelque chose.»

En tant qu’historienne spécialisée dans l’histoire des femmes, Mme Jameson pense qu’il est primordial «de comprendre d’où nous venons et de documenter ce qui se passe à notre époque».

Alors, elle est replongée dans ses connaissances sur le droit à l’avortement et s’est assise pour écrire sa publication sur Facebook.

«J’avais 25 ans lorsque « Roe contre Wade » a légalisé l’avortement, a-t-elle écrit. L’avortement a été légal pendant les deux tiers de ma vie, mais je me souviens de ce que c’était avant que ce ne soit légalisé – les mensonges qu’on racontait pour en obtenir un, les dépenses, la distance et le danger.»

Après le partage de son message, Mme Jameson a reçu un appel concernant un rassemblement pour le droit à l’avortement qui devait se tenir à Calgary. Elle s’y est rendue, puis elle a partagé le même message avec quelque 200 personnes qui étaient présentes, le 15 mai. Il y avait aussi des militants anti-choix, mais ils se sont ralliés à la cause, a-t-elle dit.

«Je suis une mère et une grand-mère, a-t-elle mentionné à la foule. J’aime mes petits-fils et mon fils plus que tout. Je suis reconnaissante. J’ai choisi d’avoir mon enfant, mais la plupart des femmes n’ont pas eu ce choix.»

L’influence américaine

Mme Jameson, qui a la double nationalité et vit au Canada depuis la fin des années 1990, s’inquiète de la façon dont les changements aux États-Unis pourraient affecter le Canada.

Le droit à l’avortement n’existe pas au Canada de la même manière qu’il a été confirmé dans «Roe contre Wade».

L’avortement est décriminalisé au Canada en raison d’une décision de la Cour suprême de 1988, mais aucun projet de loi n’a jamais été adopté pour enchâsser l’accès dans la loi. Le droit à l’avortement n’est pas non plus considéré comme un droit protégé par la Constitution en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés.

En juin, la décision irrévocable de la Cour suprême américaine d’annuler le droit constitutionnel à l’avortement a entraîné d’autres rassemblements à travers le Canada. Des femmes et leurs alliés sont descendus dans la rue pour le dénoncer et arboraient des pancartes indiquant «Mon corps, mon choix» et «Retour vers le futur».

Beaucoup de ceux qui ont pris la parole à l’époque se sont sentis en colère et se sont dits fatigués par la lutte pour faire respecter leur corps et leurs décisions.

Mme Jameson a souligné qu’il est décourageant de devoir mener les mêmes batailles qu’elle a menées lorsqu’elle vivait aux États-Unis.

«Mes parents étaient des défenseurs des droits civiques et j’ai grandi en faisant partie du mouvement des droits civiques, puis du mouvement étudiant antiguerre et du mouvement des femmes. Chaque cause posait des défis différents», a-t-elle raconté.

«Je pense que moi et d’autres personnes de ma génération avons fait une erreur: nous pensions que lorsque nous remportions des victoires juridiques, nous avions gagné. J’ai sous-estimé le temps qu’il faudrait pour provoquer un changement culturel profond qui accompagnait les victoires juridiques.»

La décision du juge Samuel Alito, a-t-elle dit, a essentiellement confirmé qu’il n’y avait pas de droit à l’avortement parce qu’il n’était pas soutenu par l’histoire ou la tradition.

«Lui et moi avons des opinions différentes sur l’histoire et la tradition», a déploré Mme Jameson, suggérant qu’il s’agit d’une définition juridique étroite.

«Dans de nombreux États, pendant très longtemps, l’avortement n’était pas criminel, mais parce qu’il n’y avait pas de loi qui disait que vous pouviez le faire, il le considère comme n’étant pas un droit. Ma définition se base plutôt sur le mouvement de femmes et ce qu’on voit sur le terrain.»

En ce sens, elle rappelle qu’il y a une longue histoire et une longue tradition concernant l’avortement aux États-Unis.

«Si vous ne suivez que la définition légale, il est toujours vrai que pendant plus de la moitié de l’histoire des États-Unis, plus de la moitié des États ont autorisé l’avortement, a-t-elle soulevé. Et toutes ces lois restreignant l’avortement ont été votées par des hommes blancs.

«Je dirais simplement à la justice que si nous définissons l’histoire et la tradition par ce que les Américains ont fait, alors l’avortement est plus américain que le football.»