Bloquer les rayons du soleil pour refroidir la Terre

MONTRÉAL — Dans quelques semaines, un groupe de gens influents qui incluent d’anciens chefs d’État présenteront à New York, avant l’ouverture de l’Assemblée des Nations unies, une série de recommandations concernant la géo-ingénierie solaire. L’idée derrière ce concept controversé est de bloquer les rayons du soleil, pour refroidir la Terre.

En février dernier, en marge de la Conférence de Munich sur la sécurité, le milliardaire George Soros a livré un discours à l’Université technique de Munich dans lequel il a défendu le projet du scientifique anglais David King, qui propose d’injecter des gouttelettes d’eau de mer dans l’atmosphère, grâce à une flotte de 500 navires, afin de créer des nuages artificiels salés au-dessus de l’Arctique.

L’objectif est de bloquer les rayons du soleil, et ainsi ralentir le réchauffement de ce continent.

Une autre technique de géo-ingénierie solaire consiste à reproduire les effets d’une éruption volcanique en pulvérisant du dioxyde de soufre dans l’atmosphère.

«Vous envoyez une fusée dans la stratosphère et elle répand des microparticules. Le principe est de faire artificiellement ce que font les éruptions volcaniques», donc «il s’agit de technologies qui renvoient, qui réfléchissent le rayonnement solaire, plutôt que le laisser pénétrer dans l’atmosphère», a expliqué Pascal Lamy, le président de la Commission mondiale sur la réduction des risques climatiques liés au dépassement.

Pascal Lamy est l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et la commission qu’il préside se décrit comme «un groupe indépendant de dirigeants internationaux» et de scientifiques, qui souhaitent stimuler la recherche sur la géo-ingénierie solaire.

Kim Campbell, qui a été première ministre du Canada en 1993, l’ancien président mexicain Felipe Calderon, l’ex-président du Niger Mahamadou Issoufou, pour ne nommer que ceux-là, font partie de la Commission mondiale sur la réduction des risques climatiques liés au dépassement (Climate Overshoot Commission).

Ce groupe est d’avis que la communauté internationale doit continuer les actions visant à réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre. Mais comme les efforts de décarbonation risquent d’être insuffisants pour assurer un monde viable, il croit qu’il est nécessaire d’explorer les technologies «du refroidissement éventuel de la planète en réfléchissant le rayonnement solaire entrant».

«Nous sommes du côté de ceux qui disent qu’il ne faut pas fermer la porte à ce sujet. C’est trop important, on est trop en retard (dans la lutte au changement climatique) pour ne pas soulever toutes les pierres derrière lesquelles on pourrait trouver quelque chose qui nous aiderait. Mais il faut le faire avec un maximum de précaution », a expliqué Pascal Lamy à La Presse Canadienne.

«Ça ne signifie pas qu’on prône le recours à ça, car il y a tellement d’incertitudes», mais il faut encourager la recherche sur le sujet selon l’ancien directeur de l’OMC.

Des scientifiques s’opposent fermement

Jean-Philippe Sapinski, professeur rattaché à la maîtrise en études de l’environnement à l’Université de Moncton, est «complètement en désaccord avec les intentions de cette commission».

Comme des centaines de chercheurs, il a signé une lettre ouverte qui demande que soit ratifié un traité international contre l’utilisation de la géo-ingénierie solaire, principalement pour trois raisons.

Une cascade de conséquences imprévisibles

D’abord, les risques de la géo-ingénierie solaire sont encore peu étudiés et les impacts de ce type de technologie sur les conditions météorologiques, l’agriculture et la fourniture des besoins essentiels en nourriture et en eau sont jusqu’à présent extrêmement incertains.

«À cause de la complexité du système climatique, une toute petite modification à un endroit peut avoir des effets très vastes et très loin sur la planète», a indiqué le professeur Sapinski.

Les craintes concernant les conséquences imprévisibles sont partagées par le ministre de l’Environnement du Canada Steven Guilbeault, questionné brièvement sur le sujet par La Presse Canadienne.

«Les conséquences négatives de ce genre de technologie» peuvent «dépasser de beaucoup les effets potentiels positifs» et «si on prive une région du globe de rayons ultraviolets, ça peut avoir des conséquences très importantes sur les écosystèmes locaux et éventuellement à l’échelle planétaire», a souligné le ministre en marge d’une conférence de presse sur un autre sujet.

Décourager les efforts de décarbonisation

Les opposants à la géo-ingénierie solaire soulignent que le «solutionnisme technologique», ou l’idée que la technologie puisse résoudre les problèmes causés par les changements climatiques, pourrait nuire aux efforts de diminution des GES.

«L’éventuelle mise en place des technologies de géo-ingénierie solaire à grande échelle dans un futur proche risque de fournir un argument de poids aux lobbyistes de l’industrie, aux négationnistes du climat et à certains gouvernements pour remettre à plus tard la mise en œuvre de politiques de décarbonation ambitieuses», peut-on lire dans la lettre ouverte qui appelle à un moratoire.

Le professeur Sapinski a ajouté que l’industrie des énergies fossiles trouve les promesses de la géo-ingénierie solaire, «très intéressantes», car elle y voit une façon de «continuer son modèle d’affaires» alors qu’au contraire, «ce dont on a besoin, c’est de réduire les émissions de GES le plus rapidement possible, en planifiant de fermer l’industrie des combustibles fossiles qui est la principale source de ces émissions».

Absence d’un cadre mondial

Les signataires de la lettre ouverte font également valoir que le système de gouvernance mondiale n’est pas en mesure de contrôler le déploiement de l’ingénierie solaire de manière «équitable, inclusive et efficace».

«L’Assemblée générale des Nations unies, le Programme des Nations unies pour l’environnement ou la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques n’ont ni le mandat ni les moyens d’assurer un contrôle multilatéral équitable et efficace du déploiement des technologies de géo-ingénierie solaire à l’échelle planétaire», souligne la lettre signée par des centaines de scientifiques.

«La période politique actuelle est très chaotique à travers le monde» et «c’est très difficile de penser d’établir une quelconque gouvernance mondiale pour ce type de technologie», a ajouté Jean-Philippe Sapinski.

Alors que la lettre ouverte que le professeur Sapinsky a signée demande aux gouvernements et aux Nations unies de «contrôler et restreindre le développement des technologies de géo-ingénierie solaire avant qu’il ne soit trop tard», Pascal Lamy croit au contraire que l’ONU devrait développer des règles pour encadrer la recherche et anticiper le déploiement éventuel de ce type de technologie.

Il fait valoir notamment que des pays effectuent déjà de la recherche sur le sujet.

«Les Américains sont ceux qui font le plus de recherche, ce qui est d’ailleurs un problème», car «sur un sujet qui a de telles conséquences globales, mettre la recherche uniquement entre les mains de certains, ce n’est pas une bonne méthode», a indiqué Pascal Lamy, en ajoutant que la recherche doit «être critiquée et débattue» et accessible au plus grand nombre.

La Commission mondiale sur la réduction des risques climatiques liés au dépassement présentera une série de recommandations sur  la géo-ingénierie solaire, mais aussi sur d’autres sujets concernant la crise climatique, le 14 septembre à New York, une semaine avant l’ouverture de l’Assemblée générale des Nations unies.