Des infirmières praticiennes qui administrent l’AMM ne sont toujours pas payées

SAINT-JEAN, T.-N.-L. — Alors que la demande pour l’aide médicale à mourir augmente au Canada, des infirmières praticiennes spécialisées n’arrivent pas à être rémunérées lorsqu’elles administrent cette procédure.

Ellen Gretsinger, une infirmière praticienne de la région de Niagara, en Ontario, est l’une de ces professionnelles de la santé qui, au cours de la dernière année, a fourni à des patients l’aide médicale à mourir (AMM) sans être payée.

Mme Gretsinger a un emploi d’infirmière à temps plein, en plus d’un emploi parallèle lors duquel elle offre des soins virtuels. Le soir et la fin de semaine, elle évalue des patients pour l’AMM et administre la procédure.

Toutefois, comme de nombreuses provinces, l’Ontario ne dispose pas d’un mécanisme permettant aux infirmières praticiennes d’accepter un travail indépendant et d’être rémunérées en conséquence, comme une structure de rémunération à l’acte souvent en place pour les médecins.

Et parallèlement, la demande pour l’AMM augmente partout au pays. Mme Gretsinger le fait donc gratuitement. Elle croit en l’importance de cette procédure, surtout après avoir vu sa mère souffrir avant de mourir d’un cancer.

«Je pense que quand quelqu’un souffre et qu’on lui a dit que c’est une option qui s’offre à lui, il faut qu’il puisse y avoir accès», a estimé Mme Gretsinger lors d’une récente entrevue avec La Presse Canadienne.

Le nombre de médecins et d’infirmières praticiennes disponibles pour administrer l’AMM au Canada n’a pas suivi la hausse de la demande. Un rapport publié en octobre par Santé Canada montre que le nombre de prestataires d’aide médicale à mourir a augmenté en moyenne de 18 % chaque année, mais que le nombre de prestations de l’AMM a augmenté de près de 33 % chaque année.

Selon la loi fédérale, les prestations et les évaluations de l’AMM peuvent être effectuées par des infirmières praticiennes spécialisées ou des médecins, et chaque demande doit être évaluée par au moins deux prestataires.

Une question récurrente

Il existe de nombreuses raisons qui permettent à des professionnels de la santé de ne pas accepter de donner l’AMM, qu’il soit question de surmenage dans un système tendu ou encore de réticences quant à l’AMM elle-même, a rappelé le docteur Tim Holland, qui est responsable de la bioéthique à l’Université Dalhousie.

S’il considère l’aide médicale à mourir comme le plus grand changement culturel lié à la médecine depuis l’avortement, le docteur Holland croit qu’il faudrait offrir plus de souplesse pour permettre aux infirmières praticiennes qui acceptent de donner l’AMM d’être rémunérées.

«Trouver un modèle qui permettrait aux infirmières praticiennes de le faire en plus de leur pratique habituelle, cela contribuerait grandement à accroître la capacité», a-t-il souligné lors d’une entrevue.

«Chaque fois qu’on organise une conférence sur l’AMM, cette question revient: comment allons-nous tous plaider pour que les infirmières praticiennes soient payées?»

Le président de l’Association des infirmières et infirmiers praticiens du Canada, Stan Marchuk, abonde dans le même sens.

«Nous avons besoin de modèles de rémunération plus flexibles pour permettre aux infirmières praticiennes d’exercer pleinement leur profession au Canada», a-t-il fait valoir.

Des modèles inchangés

Les modèles de rémunération des infirmières praticiennes sont restés largement inchangés depuis des décennies, malgré d’importantes innovations en médecine et des réformes des systèmes de santé, a noté M. Marchuk.

Dans la plupart des provinces, les infirmières sont salariées et liées aux autorités sanitaires, sans aucun moyen d’être rémunérées pour le travail effectué en dehors de leur travail.

Les médecins, quant à eux, facturent les autorités sanitaires pour tout travail qu’ils effectuent, a expliqué M. Marchuk, ajoutant que son organisation milite en faveur de modèles de rémunération plus flexibles qui permettraient aux infirmières praticiennes d’offrir davantage de services — ou même de créer des cabinets indépendants fournissant des évaluations et des prestations d’AMM.

«Je pense qu’il est vraiment honteux que des gens fournissent un service pour lequel ils ne sont pas rémunérés», a-t-il plaidé.

La Colombie-Britannique a progressé en proposant différents modèles de rémunération, et l’Alberta est en train d’y réfléchir, a salué M. Marchuk.

Mme Gretsinger aimerait voir les responsables de la santé de l’Ontario offrir aux infirmières praticiennes un code de facturation similaire pour le travail qu’elle effectue sur l’aide médicale à mourir.

En attendant, elle continuera, craignant que si elle refuse ces demandes d’évaluation, les patients souffriront plus longtemps.