Le Canada pourrait revoir son embargo sur les armes en Turquie, selon un expert

OTTAWA — Un ancien expert en sécurité de haut rang a déclaré que le Canada pourrait assouplir ses restrictions sur l’exportation d’armes en Turquie, alors que ce pays s’efforce de renforcer ses liens avec ses partenaires occidentaux.

Lors du sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) qui a eu lieu  la semaine dernière en Lituanie, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a conclu un accord pour soutenir la tentative de la Suède d’intégrer l’alliance militaire après s’y être opposé pendant des mois.

Au cours du sommet, des médias citant des responsables turcs anonymes ont affirmé que le Canada avait en contrepartie rouvert les pourparlers à propos de l’embargo sur les armes. La Presse Canadienne n’a pas vérifié de manière indépendante les allégations véhiculées par ces médias.

«Tout ce que nous pouvons faire de notre point de vue pour renforcer ce gouvernement – parce qu’il occupe un endroit tellement crucial dans cette région – est vraiment, vraiment important», a déclaré Chris Kilford, un ancien attaché militaire canadien en Turquie.

M. Erdoğan a également adopté une position plus ferme contre Moscou ces derniers mois, notamment en remettant des soldats russes emprisonnés à l’Ukraine.

Le bureau du premier ministre Justin Trudeau n’a pas démenti les informations affirmant qu’il y avait un accord pour ouvrir des pourparlers sur l’interdiction des armes.

«Les contrôles sur l’exportation d’armes vers la Turquie ont été imposés pour des raisons importantes», a écrit Mohammad Hussain, porte-parole du premier ministre Justin Trudeau.

«Le Canada reste attaché au principe selon lequel il ne devrait y avoir aucune restriction, barrière ou sanction au commerce et aux investissements de défense entre les Alliés», a-t-il ajouté.

Affaires mondiales Canada s’est contenté de spécifier que l’embargo demeure actuellement en place. L’ambassade de Turquie à Ottawa a déclaré que l’ambassadeur n’était pas disponible pour une entrevue.

«J’avais pensé que le gouvernement canadien, comme certains des autres gouvernements en Europe… lèverait notre embargo sur les armes en Turquie dans le cadre d’un arrangement, pour reconnaître ou même encourager la Turquie à adopter une position plus ferme contre la Russie», a indiqué M. Kilford.

Des rapports indiquent également que des responsables turcs ont affirmé que les États-Unis avaient accepté le transfert d’avions de chasse F-16 en Turquie en échange d’un changement de position sur l’adhésion de la Suède à l’OTAN, mais le conseiller américain à la sécurité nationale a insisté sur le fait que les deux décisions n’étaient pas liées.

«Le président Biden a été clair et sans équivoque pendant des mois sur le fait qu’il soutenait le transfert de F-16 à la Turquie, que c’est dans notre intérêt national, c’est dans l’intérêt de l’OTAN que la Turquie obtienne cette capacité, a déclaré Jake Sullivan le 11 juillet à Vilnius. Il n’a posé aucune mise en garde ou condition à cela.»

Le Congrès américain examine actuellement l’accord F-16 et il n’y a pas encore de calendrier pour le transfert.

Le Canada a suspendu les nouveaux permis d’exportation vers la Turquie en octobre 2019 après une incursion militaire en Syrie, et a temporairement abaissé ces restrictions en avril 2020 pour une durée de six mois.

En octobre 2020, le Canada a de nouveau suspendu les permis d’exportation en raison de «preuves crédibles que certains biens et technologies militaires canadiens exportés vers la Turquie» avaient été utilisés dans des conflits tels que la région contestée du Haut-Karabakh, une partie de l’Azerbaïdjan revendiquée par l’Arménie.

Ottawa pense que l’Azerbaïdjan a utilisé des drones turcs équipés de capteurs canadiens, conformément à de nombreux reportages dans les médias. Il a également des preuves que des drones turcs équipés de capteurs canadiens auraient pu être utilisés en Libye et en Syrie.

Le conflit du Haut-Karabakh est particulièrement sensible pour le Canada. La région est principalement peuplée d’Arméniens de souche, mais internationalement reconnue comme faisant partie de l’Azerbaïdjan. Les libéraux ont annoncé leur intention d’ouvrir une ambassade en Arménie et ont souvent fait de la sensibilisation auprès de la diaspora arménienne au Canada.

En avril, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a exhorté l’Azerbaïdjan à cesser d’aggraver le conflit du Haut-Karabakh, des mois après que ce pays eut restreint l’accès à la route qui relie la région à l’Arménie et fournit l’essentiel à la population.

Nouveau ton

M. Kilford s’attend à ce qu’Ottawa lève son embargo sur les armes avec certaines stipulations autour de ce conflit, peut-être après que la Turquie ait donné suite à ses promesses de soutenir l’adhésion de la Suède à l’OTAN lors d’un vote en octobre.

Une telle décision aiderait les relations du Canada avec un allié majeur, aiderait la Turquie à sortir d’une situation économique désastreuse et donnerait un nouveau ton au nouvel ambassadeur de la Turquie à Ottawa, qui a commencé ses fonctions le mois dernier. Pourtant, l’abandon de l’embargo comporterait toujours le risque que des composants canadiens apparaissent dans des drones à l’extérieur de la Turquie.

«Vous ne saurez jamais où ils pourraient réapparaître, et cela pourrait être politiquement embarrassant. Nous devons donc être vraiment, vraiment sensibles», a déclaré M. Kilford, qui est membre du de la Chaire d’études en gestion de la défense, à l’Université Queen’s, à Kingston, en Ontario.

M. Kilford a noté qu’au moment de l’embargo de 2019, la Turquie était l’un des principaux destinataires d’armes au Canada et que le pays utilise des composants étrangers dans le cadre de son industrie de l’armement en plein essor.

Il a déclaré que l’embargo sur les armes est l’un des principaux irritants dans les relations du Canada avec la Turquie, avec Ottawa accordant la priorité aux demandes de statut de réfugié des personnes fuyant la persécution politique, en particulier les partisans du mouvement Gülen qu’Erdoğan blâme pour une tentative de coup d’État en 2016.

Les analystes décrivent généralement la Turquie comme une démocratie non libérale, notamment en raison des arrestations de journalistes très fréquentes, des restrictions de la presse qui favorisent les candidats aux élections et des répressions de la société civile.