Les commissions scolaires anglophones obtiennent gain de cause sur la loi 40

MONTRÉAL — La volonté de Québec de transformer les commissions scolaires anglophones en centres de services scolaires comme il l’a fait du côté francophone est inconstitutionnelle et viole les droits de la communauté anglophone du Québec.

La Cour supérieure s’en prend particulièrement aux limites que l’on tentait d’imposer sur qui pouvaient participer à la gouvernance des institutions scolaires anglophones.

Dans un jugement de 125 pages rendu mercredi, le juge Sylvain Lussier a invalidé une bonne part des articles de la loi 40 — ou «Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaires» — adoptée en 2020 par le gouvernement Legault, mais dont l’application avait été suspendue en attendant une décision sur le fond.

«Les commissions scolaires anglophones sont ravies de cette décision de la Cour supérieure», a déclaré le porte-parole de leur Association, Russell Copeman, en conférence de presse virtuelle après la publication du jugement.

«Nous nous réjouissons que les droits de gestion et de contrôle de la communauté anglophone soient reconnus (…) d’une façon aussi claire par la Cour supérieure. Nous espérons sincèrement que le gouvernement du Québec décidera de ne pas interjeter appel de cette décision», a-t-il poursuivi.

Le cabinet du ministre de la Justice a indiqué dans une courte déclaration qu’il analysera la possibilité de faire appel du jugement.

Atteintes aux droits de la minorité

Dans cette décision, le juge Lussier est clair : «Le Tribunal estime que plusieurs des articles visés par ce recours portent atteinte aux droits de l’article 23 et que ces atteintes ne sont pas justifiées.»

L’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés accorde aux parents appartenant à la minorité linguistique d’une province des droits à un enseignement dispensé dans leur langue partout au Canada.

Le juge Lussier estime que «ce ne sont pas uniquement les parents ayant des enfants inscrits à l’école anglaise qui jouissent des droits, mais également ceux qui ont le droit d’y inscrire leurs enfants, ou qui y ont fait inscrire leurs enfants d’âge scolaire, ou avaient le droit de le faire». En d’autres termes, le magistrat estime que Québec a erré en tentant de limiter les droits liés à l’enseignement aux seuls parents dont l’enfant fréquente l’école anglaise. Ces droits, selon lui, s’étendent à l’ensemble de la communauté anglophone.

«Le thème de son jugement, c’est qu’il faut interpréter l’article 23 de la Charte de façon large, généreuse et libérale», a fait valoir Russell Copeman.

«Ça prend un village pour élever un enfant»

«Comme le veut le dicton, « ça prend un village pour élever un enfant »», écrit-il, expliquant que «la désignation des représentants de la communauté va au-delà du simple groupe des parents d’enfants inscrits à l’école. La loi doit viser à favoriser la participation des membres de la communauté à la gestion scolaire, dans un but d’épanouissement de cette communauté.»

Le tribunal rejette donc les limitations imposées aux personnes qui peuvent se présenter aux élections scolaires ou diriger un conseil d’administration, limitations qui ne peuvent répondre aux objectifs de l’article 23: «La minorité linguistique transcende le groupe plus restreint d’individus dont les enfants sont inscrits à l’école. C’est la transmission de la culture qui est en jeu. La communauté entière est interpellée par le projet scolaire, qui ne se limite pas aux bancs d’école.»

«Limiter, directement ou indirectement, comme le fait la Loi le droit des représentants de se présenter aux élections scolaires restreint le droit de la minorité à la gestion et au contrôle de ses institutions scolaires», tranche-t-il.

Pauline Marois invoquée

Le juge Lussier cite même, en soutien à son argumentaire, les propos de Pauline Marois qui, lorsqu’elle était ministre de l’Éducation dans le gouvernement de Lucien Bouchard en 1997, avait procédé à l’implantation des commissions scolaires sur une base linguistique, déclarant que «c’est même inscrit dans la Charte des droits qu’elle (la communauté anglophone) peut avoir le droit de contrôler ses institutions».

En rappelant l’histoire du système d’enseignement au Québec, le juge insiste sur le fait que «cet engagement de maintenir la gestion et le contrôle des institutions par la minorité doit nécessairement guider l’interprétation de l’article 23 à la situation».

Perte de contrôle prévisible

En d’autres termes, le juge souligne que la loi 40 va directement à l’encontre de ce pourquoi la Charte des droits existe, c’est-à-dire protéger les minorités contre la dictature de la majorité : «La minorité se fait imposer la vision de la majorité quant à qui peut la représenter, alors que depuis plus de 200 ans, tous les membres de la communauté sont éligibles à s’occuper de la gestion scolaire».

«Nous avons des chartes de droits précisément pour protéger les droits des minorités, de mettre les droits des minorités à l’abri des décisions parfois, de la majorité. On ne peut pas se fier à la majorité pour conférer des droits ou respecter des droits», a renchéri M. Copeman.

Se projetant dans l’avenir, le magistrat conclut qu’avec les restrictions et exigences de la loi 40, «la communauté anglophone perdra le contrôle et la gestion de ses institutions au profit, soit du ministère, soit d’un petit groupe de personnes qui aura le temps et surtout les moyens de s’occuper de gouvernance scolaire, alors que ceux qui s’y intéressent présentement seront découragés ou carrément empêchés de continuer à servir».

Pour toutes les minorités linguistiques

De son côté, le groupe de défense des intérêts des Anglo-Québécois, le Quebec Community Groups Network, qualifie la décision de «victoire importante non seulement pour la communauté anglophone du Québec, mais aussi pour les communautés de langue minoritaire à travers le Canada».

Dans un communiqué, sa présidente, Eva Ludvig, demande aussi au gouvernement Legault de ne pas en appeler de cette décision et l’invite plutôt à une consultation véritable.

Elle affirme que la loi 40 aurait transféré une part significative du pouvoir décisionnel de contrôle et de gestion des écoles des commissions scolaires ou des centres de services scolaires vers le ministre et le ministère de l’Éducation.

Note aux lecteurs: Version corrigée. Dans sa dépêche, La Presse Canadienne évoquait un communiqué exclusivement écrit en anglais du Quebec Community Groups Network. En fait, le groupe a publié plus tard une version du communiqué en français sur son site web.