Métro Média suspend ses activités: une «bombe atomique» sur l’information locale

MONTRÉAL — La fermeture abrupte des médias du groupe Métro Média, qui compte plus d’une vingtaine de publications hyperlocales à Montréal et à Québec, est une véritable «bombe atomique» pour l’information locale, soutiennent plusieurs observateurs de la scène médiatique québécoise.

Vendredi, peu après 16 h 30, le président-directeur général de l’entreprise, Andrew Mulé a annoncé à ses employés, collègues et collaborateurs «la suspension immédiate des activités de Métro, de tous (ses) journaux et de (ses) sites Web communautaires».

«Le temps était mon pire ennemi et ce que je craignais est malheureusement arrivé, mais de manière brusque et soudaine», se désole l’éditeur, qui dit avoir été informé mercredi que l’entreprise n’avait plus les liquidités nécessaires pour poursuivre ses activités, et ce, en dépit d’un «bilan sain».

Selon Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’UQAM, la cessation des activités du groupe Métro Média est à la fois «triste et attendue».

«C’est même tragique… C’est une bombe atomique pour l’information locale à Montréal et à Québec, souligne-t-il en entrevue. C’est un pan d’histoire du journalisme, mais aussi de certains quartiers, qui disparaît. “Le Messager de Verdun” célèbre ses 110 ans cette année. (…) Ce sont des communautés qui comptent sur ces journaux comme sources d’information.»

Son collègue Patrick White abonde en ce sens, indiquant même que les deux plus grandes villes de la province seront aux prises avec des déserts médiatiques. «C’est une très, très mauvaise nouvelle pour la démocratie locale, soutient-il dans un entretien téléphonique. C’est la fin du modèle de couverture hyperlocale à Montréal et à Québec. On va cesser de couvrir des conseils d’arrondissement.»

«Ce n’est pas une bonne nouvelle pour la société en général si on perd plusieurs voix qui couvrent l’actualité, complète Éric-Pierre Champagne, vice-président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Quand l’information ne sort pas gagnante, c’est le public qui en sort perdant.»

Il souligne que les hebdomadaires du groupe couvraient un certain «angle mort» des grands quotidiens montréalais.

La présidente de la Fédération nationale de la culture et des communications (FNCC-CSN), Annick Charette, qualifie cette annonce de «catastrophique», alors qu’elle travaillait étroitement avec M. Mulé depuis plusieurs mois pour sortir l’entreprise de ses difficultés.

«Ça vient créer un gros, gros trou. Pour de nombreuses communautés, leur hebdomadaire était un véhicule de communication très important, souligne Mme Charette. Pour bien des gens, il s’agissait des seules nouvelles ou publications en français qui rentrait dans leur foyer.»

«On a travaillé fort avec les propriétaires, on a tenté de trouver des solutions parallèles, on a eu des rencontres avec plusieurs investisseurs, la Ville… J’espère que cette fermeture ne sera que temporaire», ajoute la syndicaliste qui, en mai dernier, avait craint dans un communiqué «la disparition pure et simple de cette presse de proximité» si aucune mesure d’aide n’était apportée à l’entreprise.

Dans un communiqué diffusé en fin de soirée, la FNCC-CSN a réclamé une «intervention immédiate et constructive» de la part de tous les niveaux de gouvernement pour sauver l’information locale sur l’île de Montréal.

Métro Média a été créé en avril 2018 au moment de l’acquisition du quotidien Métro ainsi que de 11 publications métropolitaines et de 5 publications de la Capitale-Nationale. Certaines de ces publications frôlaient le siècle d’existence.

Selon des statistiques publiées sur le site de l’entreprise, le journal Métro rejoignait 100 000 lecteurs chaque semaine. Son site Internet comptait 1,9 million de visiteurs uniques chaque mois. L’ensemble des hebdomadaires étaient distribués à raison de 165 000 copies chaque mois.

L’entreprise comptait environ une centaine d’employés, dont plus de la moitié étaient syndiqués.

Quelques licenciements avaient eu lieu l’hiver dernier et au cours des dernières semaines.

Rejoint via les réseaux sociaux, M. Mulé a décliné la demande d’entrevue de La Presse Canadienne, estimant avoir tout dit dans son message.

«C’est une bien mauvaise nouvelle pour les citoyens. L’accès à des sources d’information locales est important. Le ministère de la Culture et des Communications continuera de soutenir les journaux locaux, comme il le fait depuis plusieurs années», a réagi le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, lui-même un ancien journaliste.

La fin du Publisac pointée du doigt

L’homme d’affaires a souligné que malgré «un virage numérique majeur et significatif», «Métro a reçu un coup particulièrement dévastateur lorsque le maire de Montréal a annoncé la fin de notre mode de distribution, le Publisac».

«(Nous) ne pouvions pas subir une perte dévastatrice de nos revenus subitement et suivre une feuille de route numérique ambitieuse et couteuse sans aide financière externe. Nous sommes après tout une petite entreprise sans financement, et la fin prématurée de nos médias imprimés a fait que nous n’avions aucun moyen de financer rapidement notre avenir sans un investissement important», écrit M. Mulé, ajoutant qu’il a «passé la dernière année à frapper à toutes les portes du Québec et du Canada» pour obtenir de l’aide.

Le printemps dernier, M. Mulé avait menacé de mettre à pied la moitié de ses employés à défaut d’avoir un soutien financier de la part de Montréal, en raison de la suspension de la distribution de ses journaux dans le Publisac.

Sur X (anciennement Twitter), la mairesse de Montréal, Valérie Plante, s’est désolée de la fermeture du média. Qualifiant le tout de «perte importante pour l’écosystème médiatique et le quotidien des Montréalaises et des Montréalais», l’élue n’a pas répondu aux critiques de M. Mulé concernant sa décision de mettre un terme à la distribution du Publisac.

«La transformation radicale de l’environnement d’affaires des médias nécessite une réflexion urgente et des pistes de solution collectives», a plutôt souligné Mme Plante, saluant au passage le travail des artisans du groupe Métro Média.

Ce commentaire semble avoir piqué Andrew Mulé au vif, puisqu’il lui a répliqué que «la beauté de communiquer sur les médias sociaux (est le) contrôle total du message lors de la publication sans avoir besoin d’un fact-checking indépendant. Bonne chance avec ça Montréal.»

Le maire de Québec, Bruno Marchand, a pour sa part souligné le travail des journalistes de Métro Média dans la capitale. «Les médias sont précieux dans notre société et c’est une perte immense à chaque fois qu’un d’entre eux met la clé sous la porte», a-t-il écrit sur X.

Un modèle d’affaires à revoir

Jean-Hugues Roy n’est toutefois pas surpris des déboires de Métro Média, qui tentait depuis plusieurs mois de survivre, notamment en tentant de se muer en coopérative.

«L’argument du Publisac, quand on sait qu’un jugement a été rendu il y a un peu plus d’un mois, ça démontre surtout que le modèle d’affaires de l’information qui est à la remorque de la publicité, ça ne marche plus, dit-il. La publicité ne peut plus constituer la seule ou la principale source de revenus pour financer l’information.»

«C’est un vieux modèle d’affaires qu’on a tenté de moderniser avec un virage numérique, renchérit M. White. On savait que ce n’était pas facile et que l’arrêt de la distribution des journaux a fait très mal.»

M. Roy craint que d’autres médias, qui dépendent encore de ce modèle d’affaires, n’emboîtent le pas à Métro Média dans les mois qui viennent. «Encore beaucoup de journaux, dont en région, sont distribués par le Publisac. On a une voix qui s’éteint, mais plusieurs autres pourraient le faire.»

Invité à commenter vendredi, le cabinet de la ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, a indiqué que la disparition des titres de Métro Média est «un autre exemple malheureux de la nécessité du projet de loi C-18. Google et Facebook reçoivent 80 % de tous les revenus publicitaires numériques au Canada. Pendant ce temps, des centaines de salles de nouvelles ont fermé leurs portes. Une presse libre, fleurissante et indépendante est fondamentale pour notre démocratie. Maintenant, les Canadiens s’attendent que les géants du web paient leur juste part.»