Ottawa veut se donner des outils pour surveiller les produits de santé naturels

OTTAWA — Une nouvelle mesure fédérale qui obligerait les hôpitaux à signaler les effets indésirables des «produits de santé naturels» a surpris les fabricants, qui disent avoir été pris de court par le changement proposé.

Le gouvernement fédéral a inclus cette mesure dans le projet de loi omnibus de mise en vigueur du budget 2023, qui est toujours en cours d’examen à la Chambre des communes.

Le gouvernement propose de modifier la Loi sur les aliments et drogues afin que les produits de santé naturels, comme les remèdes à base de plantes et les suppléments, tombent dans la même catégorie que les produits pharmaceutiques en ce qui concerne la façon dont ils sont surveillés une fois qu’ils sont sur le marché.

Selon le gouvernement, ces changements permettraient aux organismes de réglementation de prendre «des mesures plus énergiques» lorsque des problèmes de santé ou de sécurité sont détectés à l’égard de produits de santé naturels mis sur le marché.

Ces produits de santé naturels seraient en fait régis par la Loi visant à protéger les Canadiens contre les drogues dangereuses, surnommée «loi de Vanessa», qui a été adoptée en 2014 pour améliorer la déclaration des effets indésirables sur la santé.

La loi porte le nom de Vanessa Young, fille d’un député conservateur décédée en 2000, à l’âge de 15 ans, après que son rythme cardiaque a été perturbé par des médicaments prescrits par son médecin.

L’inclusion des produits de santé naturels dans ce cadre législatif obligerait les hôpitaux à signaler toute conséquence imprévue qui leur est associée, afin que Santé Canada puisse procéder à leur rappel ou ordonner des correctifs si nécessaire.

Ces dispositions avaient déjà été discutées, mais «rien ne nous indiquait que c’était imminent», a déclaré Aaron Skelton, président de l’Association canadienne des aliments de santé. «L’industrie et l’association ont toutes deux été prises au dépourvu quand nous avons vu cette mesure dans le budget.»

Lorsqu’elle a été présentée pour la première fois, l’opportunité d’inclure les produits de santé naturels dans la «loi de Vanessa» avait suscité «tout un débat» sur la colline du Parlement, se rappelait récemment la sénatrice Judith Seidman, qui avait parrainé le projet de loi original au Sénat. Le gouvernement de l’époque avait finalement décidé de ne pas aller de l’avant.

Depuis lors, plusieurs tragédies très médiatisées, qui ont vu des parents et des patients délaisser la médecine conventionnelle au profit de remèdes naturels, ont suscité un nouveau débat national sur la réglementation des produits de santé naturels au Canada.

«Il est urgent d’agir»

En 2021, le vérificateur général fédéral a constaté que Santé Canada n’avait pas réussi à s’assurer que les produits étaient sécuritaires et efficaces, et que des lacunes dans la surveillance des produits sur le marché exposaient les consommateurs à des risques pour la santé et la sécurité.

«Je pense qu’il est urgent d’assurer la surveillance des produits de santé naturels après leur mise en marché et d’en contrôler l’innocuité», déclarait plus tôt ce mois-ci la sénatrice Seidman, épidémiologiste et chercheure en santé, à un comité sénatorial.

La «loi de Vanessa» permettrait également à Santé Canada d’exiger que les fabricants modifient leurs étiquettes et rappellent eux-mêmes tout produit dangereux.

M. Skelton fait valoir que les fabricants sont déjà responsables de signaler tout effet néfaste associé à leurs produits et que Santé Canada a déjà le pouvoir de stopper la vente et de saisir des produits. La décision d’inclure les produits naturels n’a pas été correctement étudiée ou débattue, selon lui, avant d’être camouflée dans le projet de loi budgétaire omnibus.

«Nous n’avons vu aucun effort de consultation pour nous persuader que les pouvoirs réglementaires conférés par la loi de Vanessa seraient appropriés pour les produits à faible risque, tels que les produits de santé naturels», a-t-il soutenu.

L’organisme Patients pour la sécurité des patients du Canada affirme qu’il existe peu de données pour aider le ministère de la Santé à tenir les entreprises responsables. «Nous n’avons aucun recours», a déclaré Katharina Kovacs Burns, coprésidente de l’organisme bénévole.

«Il n’y a pas de signalement d’effets secondaires, il n’y a pas de suivi, il n’y a rien pour les produits de santé naturels jusqu’à présent — pas de la même manière qu’il y en a avec les autres médicaments sur ordonnance ou d’autres produits thérapeutiques qui sont beaucoup plus réglementés», a-t-elle déclaré.

Mme Kovacs Burns a déclaré que son organisme n’avait pas non plus été consulté sur le changement législatif.

Au cabinet du ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos, on a confirmé jeudi qu’il n’y avait pas eu de consultations formelles. Le porte-parole, Guillaume Bertrand, a indiqué que le gouvernement prévoyait d’entendre l’industrie et les groupes de patients lorsqu’il élaborera la réglementation proprement dite qui accompagnera le changement législatif.

Le ministre Duclos avait expliqué plus tôt cette semaine que le changement visait à remédier au fait que tous les produits ne sont pas également sûrs pour la consommation. 

«L’objectif est de s’assurer que tous les produits de santé, de différents types et de différentes formulations, sont traités de la même manière, afin que Santé Canada ait la capacité, au besoin, d’intervenir dans des circonstances où la santé et la sécurité des Canadiens sont en jeu», a indiqué M. Duclos lors d’une conférence de presse à Sudbury, mardi.

Bien que les produits de santé naturels soient considérés comme moins risqués que certains médicaments sur ordonnance, l’Association des pharmaciens du Canada a tenté à maintes reprises de souligner qu’il existe encore un certain risque à les utiliser.

Le ginseng, par exemple, qui est souvent utilisé dans l’espoir de renforcer le système immunitaire, a été associé à certains cas d’augmentation de la tension artérielle, a déclaré aux sénateurs Barry Power, de l’association des pharmaciens, plus tôt ce mois-ci.

Il a également souligné des cas de saignements associés au ginkgo biloba, qui est censé augmenter la mémoire – un effet secondaire potentiellement grave pour les personnes âgées qui utilisent également des anticoagulants.

La mesure proposée dans le budget est la dernière d’une série de changements réglementaires que le gouvernement a introduits pour resserrer les règles sur la façon dont les produits sont commercialisés et vendus aux Canadiens, y compris sur l’étiquetage.