Un modèle conçu à McGill pour prédire le développement des douleurs chroniques

MONTRÉAL — Des chercheurs de l’Université McGill ont conçu un modèle afin de prédire le développement des douleurs chroniques chez les patients qui en souffrent. Un outil qui pourrait être utilisé pour gérer les listes d’attente dans les cliniques de gestion de la douleur, selon un co-auteur de l’étude. 

Dans l’article «A prognostic risk score for development and spread of chronic pain», publié dans la revue Natude Medecine, au début du mois de juillet, les chercheurs se sont penchés sur les douleurs chroniques qui se chevauchent, c’est-à-dire lorsqu’une personne rapporte avoir des douleurs chroniques à plusieurs endroits. 

Pour ce faire, les auteurs de l’étude ont utilisé les données de la biobanque du Royaume-Uni (UK Biobank), qui regroupe des données sur la santé de 500 000 personnes. 

«L’avantage de ça, c’est que pour la première fois, on a accès à un demi-million de personnes qui ont rempli différents questionnaires, qui ont fait des batteries de tests, et qui ont rapporté les différents types de douleur qui les affectaient», explique le Dr Etienne Vachon-Presseau, professeur adjoint à la Faculté de médecine dentaire et des sciences de la santé buccodentaire à l’Université McGill, et co-auteur de l’étude. 

Les données ont été recueillies auprès de citoyens du Royaume-Uni, âgés de 50 à 70 ans, que la biobanque suit au fil de leur vieillissement. 

«Dans cette cohorte-là, ce qu’on observe, c’est qu’il y a beaucoup de patients qui ont de la douleur chronique, à peu près 40% des gens qui ont participé à l’étude. Puis, parmi ceux-ci, il y a une proportion importante, encore une fois, environ 40%, qui rapportait des douleurs à plusieurs endroits sur leur corps», détaille M. Vachon-Presseau. 

Grâce à ces nombreuses données, «on a développé un modèle prédictif, en utilisant l’apprentissage machine, sur une panoplie de facteurs environnementaux, psychologiques, de personnalité, des troubles du sommeil, de consommation d’alcool, de tabagisme, mesure anthropométrique comme l’indice de masse corporelle, par exemple», explique-t-il. 

Les chercheurs ont inscrit environ 100 variables dans le modèle afin de savoir quelles combinaisons de facteurs peuvent être utilisées pour prévoir le nombre de sites sur le corps où une personne souffrira de douleurs chroniques. 

«On a pu entraîner des modèles où on était capable de prédire dans le temps, par exemple, si un patient a une douleur chronique au genou, est-ce que ce patient est à risque dans le temps de voir sa douleur se développer à d’autres sites. Par exemple, on commence au genou, mais on finit avec quatre sites de plus, neuf ans plus tard, mal de dos, mal de hanches, mal au niveau du cou, des épaules», illustre Etienne Vachon-Presseau. 

Même si le modèle est plus efficace lorsqu’il analyse le développement des douleurs chroniques chez une personne qui en souffre déjà, il peut prédire, dans certaines conditions, si une personne qui est à risque d’avoir des douleurs chroniques, mais qui n’en souffre pas pour l’instant, en ressentira plus tard. Toutefois, dans ce cas, «les performances étaient un petit peu plus basses», souligne M. Vachon-Presseau. 

Une façon de gérer les listes d’attente?

Poser 100 questions pour prédire l’évolution des douleurs chroniques d’un patient n’est pas réaliste, ont conclu les auteurs de l’étude. Les chercheurs ont donc identifié les six facteurs principaux de leur modèle, afin de permettre aux cliniciens de l’utiliser au jour le jour. 

«Donc, on a sacrifié un peu la performance du modèle pour essayer de le simplifier au maximum», indique M. Vachon-Presseau.

Ces six facteurs sont le sommeil, le neurotisme (est-ce que vous vous sentez souvent dépassé?), la fatigue, la consultation récente d’un médecin ou d’un psychiatre pour des enjeux de santé mentale, les stresseurs de la vie (mort, divorce, difficultés financières, etc.) ainsi que l’indice de masse corporelle (IMC). 

«Le modèle, on aimerait ça l’implanter dans les cliniques de douleur, pour essayer de voir comment ça performe vraiment avec des patients qui sont dans des unités tertiaires de soins», affirme le professeur. 

«Ça pourrait servir, potentiellement (…) par exemple, dans l’évaluation, le  »screening » des patients, à savoir si on devrait les prioriser parce qu’ils sont plus à risque, ou dans le cas inverse, si la personne peut peut-être attendre un peu plus sur la liste d’attente», a-t-il renchéri, soulignant que le temps d’attente peut s’échelonner jusqu’à un an pour certains patients. 

Si le modèle «performe bien», il pourrait aussi inciter des cliniciens à prescrire des traitements plus agressifs si une personne est particulièrement à risque que sa douleur se répande. 

Ce modèle pourrait aussi être utilisé en recherche, souligne M. Vachon-Presseau.