Une étude veut recenser les personnes sans-abri à l’aide de données sur la santé

HALIFAX — Une nouvelle méthode de recensement des personnes sans-abri offre un aperçu plus clair de l’ampleur du problème social, avec des résultats préliminaires indiquant que la population de personnes en situation d’itinérance au Canada pourrait être trois fois plus élevée que les estimations actuelles.

Les méthodes traditionnelles pour déterminer le nombre de personnes sans-abri reposent sur le recensement des personnes accédant à des services, comme des refuges ou des banques alimentaires, a rappelé Cheryl Forchuk, chercheuse au Lawson Health Research Institute, dans une récente entrevue.

D’autres méthodes, a-t-elle dit, impliquent que les travailleurs de première ligne tiennent des feuilles de calcul ou des cahiers avec des listes de personnes sans-abri, mais ces données ne sont pas toujours incluses dans les bases de données nationales, a-t-elle souligné.

«Tout le monde n’est pas comptabilisé, a indiqué Mme Forchuk, dont l’institut est affilié à l’Université Western, à London. Beaucoup de personnes en situation d’itinérance choisissent de ne pas aller dans les refuges, ou alors il n’y a pas la capacité.»

La base de données nationale du Canada estime qu’il y a environ 235 000 personnes sans-abri dans l’ensemble du pays, mais ce nombre triple lorsque les données sur les soins de santé des urgences sont prises en compte, a précisé Mme Forchuk.

Les données sur les soins de santé, bien qu’imparfaites, peuvent être un marqueur fiable, car les personnes sans-abri sont «très, très vulnérables du point de vue de la santé», a rappelé Mme Forchuk, ajoutant qu’ils sont entre quatre et dix fois plus susceptibles que la moyenne de se rendre à l’urgence.

Les recherches de Mme Forchuk ont commencé en Ontario et sont maintenant étendues à travers le pays. Cela inclut des entrevues avec des travailleurs des services communautaires de première ligne et des centaines de personnes sans-abri.

«Peu importe la méthode que nous utilisons, elle sera quelque peu sous-estimée, a déclaré Mme Forchuk. Mais certainement, nous avons constaté que les gens étaient beaucoup plus susceptibles de contacter ce secteur (soins de santé) que le secteur de l’itinérance. »

Situation dans les Maritimes

Mme Forchuk, qui n’a pas encore publié ses données, a indiqué que les personnes sans-abri dans les petites communautés de la région de l’Atlantique étaient moins susceptibles qu’ailleurs au Canada d’être incluses dans les chiffres actuels parce que «beaucoup ne sont pas en contact avec le système».

Liz Corney, cofondatrice et directrice de Development for Blooming House, a témoigné que lorsque son refuge pour femmes de huit lits a ouvert ses portes à Charlottetown, à l’Île-du-Prince-Édouard, en 2019, elle ne savait pas combien de femmes sans-abri se trouvaient dans la région. D’autres groupes communautaires, a-t-elle ajouté, ne connaissaient pas non plus les chiffres.

Les femmes peuvent être «assez douées pour ne pas demander d’aide», selon Mme Corney, et le refuge reposait en grande partie sur le bouche-à-oreille au début. Maintenant, après quatre ans de fonctionnement, elle sait bien qu’il y avait un besoin, son centre étant plein la plupart des nuits. Elle signale le nombre de personnes qui utilisent le refuge à la base de données fédérale.

Mais, a-t-elle ajouté, le refuge pourrait probablement améliorer ses efforts de sensibilisation afin d’entrer en contact avec les femmes qui sont nouvellement en situation d’itinérance ou qui n’ont pas encore accès au système des refuges.

En proie à une crise aiguë de l’itinérance à travers le Canada, déterminer le nombre exact de personnes sans-abri n’est cependant pas la principale préoccupation de tous les exploitants de refuges.

«Je ne pense pas que cela importe parce que nous savons qu’il y a un besoin, n’est-ce pas ?» a mentionné Denise LaVangie, qui gère un refuge pour hommes et femmes, au centre-ville d’Halifax. 

«Nous avons une situation de crise qui doit être prise au sérieux», a-t-elle maintenu. 

Mme LaVangie a déclaré qu’elle avait refusé 20 personnes au cours de la seule semaine dernière. Son refuge compte 15 lits pour femmes et 25 lits pour hommes, et il est suffisamment occupé pour doubler le nombre de lits pour hommes. Le refuge abrite des personnes âgées, des Afro-Néo-Écossais, des personnes de l’extérieur de la province et des communautés rurales.

«Nous sommes en crise, a-t-elle déclaré. Il y a des personnes âgées qui se font expulser d’appartements en disant : “Je ne peux pas payer de loyer parce que je dois payer mes médicaments” ou “Je ne peux pas payer mes médicaments parce que mon loyer vient de doubler”.»

Warren Maddox, directeur général de Fredericton Homeless Shelters, n’est pas d’accord avec le fait que l’analyse des données sur les soins de santé est le moyen le plus précis d’obtenir un portrait complet de la population sans-abri du pays. Il a déclaré qu’une liste manuelle de toutes les personnes qui accèdent aux services est le meilleur outil pour identifier les personnes vivant dans le large spectre de l’itinérance, que ce soit des personnes dans des refuges, des espaces de transition ou qui vivent dans la rue.

Mais, a-t-il dit, cela peut manquer les «personnes sans-abri cachées», ou les personnes qui vivent d’un sofa à l’autre ou dans d’autres situations de vie précaires, ou qui rebondissent entre les systèmes de refuges dans différentes villes. Il aimerait voir des données sur les soins de santé provenant des centres de santé communautaires en plus des salles d’urgence, car les gens sont souvent détournés vers les centres de santé communautaires depuis les hôpitaux.

Mme Forchuk a noté que le Canada a lancé une stratégie nationale de lutte contre l’itinérance en 2019, visant à réduire de 50 % le nombre d’itinérants chroniques au cours de la prochaine décennie.

«Mais si vos chiffres sont sous-estimés des deux tiers, vous n’allez pas financer adéquatement le secteur», a-t-elle conclu.